Il m’a fallu visionner une deuxième fois Drive pour me rendre à l’évidence qu’il est sans doute un des plus beaux films qu’il m’ait été donné de voir, et pour comprendre ce qui fait de cette œuvre cinématographique une expérience à part, une espèce d’ovni sorti tout droit des studios d’Hollywood avec, en prime, le tampon “film d’auteur” gravé dessus. Ce qui m’a paru d’une limpidité naturelle, d’une évidence, à la suite de cette deuxième vision, c’est qu’on ne peut détester Drive ; on peut ne pas accrocher, tout au plus. On peut aussi, et ce serait une critique légitime, lui reprocher un manque de fond, une lenteur pas forcément plaisante. Mais prétexter que le film ne vaut rien en avançant justement que le héros, le driver, s’exprime d’une façon vague, peu entrainante, c’est passer à côté du film. Car c’est là que réside une de ses forces : d’une part, parce que la visée de Drive est essentiellement visuelle (et auditive) ; il y a pas peu de place pour la morale ; d’autre part, si le Driver est choisi ainsi, peu bavard, laconique, c’est que sa force même s’impose par-delà les mots et la parole, elle les transcendent, réside ailleurs.
D’un point de vue objectif, Drive est un film magnifiquement mis en scène et réalisé. Par ce travail sur la photo et la lumière, il flotte toujours sur chaque plan un sentiment d’irréalité, de douceur, de paradis terrestre, de volupté : à l’image de cette virée dans les canaux de Los Angeles vers le début du film, aux couleurs ocre et sépia, reflétant un beau soleil de fin d’après-midi. Tel un linge blanc que l’on passe à la machine, le film est presque fait ainsi, de mille couleurs aux allures diaphanes. A l’image de son héros à la beauté pâle, androgyne, presque irréelle. De ce fait, la séduction vient presque aussitôt, et ce dès le début du film. Aux courses-poursuites automobiles habituelles des films de genre, pleines de cascades et d’effets, NWR préfère un jeu de cache-cache urbain, tous feux éteints. Pourtant, le suspense reste toujours palpable car les actions sont lentes mais le rythme rapide et efficace, l’ennui demeure donc inexistant.
D’un point de vue subjectif désormais, Drive est une bombe vraiment jouissive : empruntant des scènes de rares violences dignes du cinéma sud-coréen (Old Boy, J’ai rencontré le Diable), le film nous choque un instant, puis révèle nos pulsions ailleurs. Le mélange des genres, tantôt fleur bleue, tantôt thriller, use parfaitement de son pouvoir en nous confrontant sans cesse à nos désirs enfouis - désir de prendre la route, désir de s’affranchir -, et par le biais d’une BO addictive, très électro, très moderne, nous plonge frénétiquement dans les péripéties de ce driver, allégorie parfaite de l’homme urbain moderne perdu entre lui et lui-même, s’attachant aux objets - les voitures – et aux symboles – le scorpion doré floqué à l’arrière de sa veste. Comme son ainé Robert De Niro dans Taxi Driver, le driver façon NWR se pose en justicier urbain souhaitant faire le bien autour de lui, mais qui n’a d’autre choix que de le faire par la violence et le mal. Guérir le mal par le mal, on pourrait penser à cette morale pour le film. La ville est, elle-aussi, en premier lieu : tentaculaire, effrayante, pleine de crapules, filmée en demi-teinte, souvent la nuit, elle est marquée, dans Drive comme dans les films de Scorsese, par sa polarité entre bonheur possible – amour d’une femme, d’un fils spirituel - et réalité sous-jacente, la violence vraie, la violence seule, aussi bien physique qu’intérieure.