Introduction :
Jouissant d’un fort capital sympathie durant sa présentation lors du Festival de Cannes, Drive, récompensé par le prix de la mise en scène, sort enfin sur nos écrans. Nicolas Winding Refn, réalisateur danois du très remarqué « Bronson » sorti en 2009 avec Tom Hardy (film coup de poing qui faisait le portrait d’un homme brutal sur fond de musique classique) va, avec ce nouvel opus, devenir définitivement quelqu’un sur qui l’industrie du cinéma devra obligatoirement compter.Pour l’anecdote, Drive est né de la rencontre entre Ryan Gosling (magnifique) et de Nicolas Winding, un soir de déprime. Le réalisateur venait de voir son prochain film avec Harrison Ford tomber à l’eau. La suite, banale : un retour en voiture jusqu’à l’hôtel, un silence de mort entre les deux hommes et puis, la radio qui diffuse « I can’t fight this feeling anymore » de Reo Speedwagon. Winding raconte que quelque chose est alors monté en lui, un état proche de l’euphorie en voyant Ryan Gosling conduire seul sur cette autoroute de Los Angeles.La première image qui lui est venue en tête était celle d’un cascadeur écoutant de la musique pop pour exorciser ses émotions…
Love forever :
Les spectateurs venus chercher de la castagne, des carambolages où des courses poursuites à la Fast and Furious seront vite déçus, car Drive raconte avant tout une histoire d’amour. A peu de choses près, le film ne doit compter que deux séquences de bagnoles à tout flinguer. Le cœur du film se situe bien dans cette relation unique entre ce fameux pilote mystère et Irène, représentant la symbolique même de ce qu’il reste encore de bon dans ce monde rempli de barges, où la seule lumière dans la vie de ce super héros n’ayant pour cape que son blouson marqué d’un scorpion dans le dos. Ses moments passés avec elle, sa seule présence, son sourire (ah, le sourire de Carey Mulligan...) suffit à canaliser la partie la plus obscure de sa personnalité, en témoigne cette merveilleuse séquence au bord de la fenêtre de l’appartement, entre le Driver et Irène, où le temps se retrouve considérablement suspendu. L’évolution de cette relation atypique fait vaguement penser au conte de Walt Disney, La Belle et la Bête.
L’une des vraies forces de Drive réside dans la façon dont Winding Refn suscite les émotions les plus vives et les plus radicales chez le spectateur, tantôt dans la violence la plus extrême, tantôt dans la poésie la plus somptueuse, principalement due à une gestion sans failles du cadre, du temps et de l’espace. La réalisation du Danois épouse à merveille le personnage du Driver. On vit, on voit et on ressent les choses uniquement à travers la psychologie de ce personnage, limite proche de l’autisme, où chacun de ses silences vaut mille mots. Hélas, puisque rien n’est parfait dans ce monde de brute, Drive n’arrive pourtant pas à tenir la même cadence jusqu’au bout. Une fois que Winding Refn fait tomber le masque de son « héros » après l’extraordinaire scène de l’ascenseur servant littéralement de bascule, le métrage tombe malheureusement dans des ficelles dramaturgiques imposées par le genre même du film et la faiblesse des personnages secondaires cantonnés à leur rôle de méchant, un peu comme dans les films noirs des années 50. Il en découle que dans cet ultime acte du film, le spectateur se voit dépossédé de ce charme et de cette magie hypnotique où la culture du « non-dit » fût roi durant le premier acte. Cette intensité est heureusement retrouvée lors de la séquence finale faisant indéniablement référence aux films de western. Des références, Drive en déborde et le réalisateur ne s’en cache absolument pas. Cela dit, il a l’intelligence et la manière de bien faire. De bien s’en inspirer. Ainsi, Drive revisite tout un pan du cinéma comme l’avait fait les frères Wachowski pour accoucher d’un certain « Matrix » premier du nom.
Réalisation :
Véritable pain béni pour qui viendra analyser et décortiquer sa mise en scène jusqu’à sa gestion sonore, Drive reste l’un des derniers bijoux en matière de réalisation « simple » grâce à une technique et une structure de montage taillée sur mesure. Ici, pas de « caméra shacker », pas de caméra à l’épaule, pas de fioriture au montage... On reste dans la maitrise même de la sobriété. De cette maitrise née la véritable force d’un cinéma « classique » (la vraie beauté du cinéma) qui, par la suite, vient épouser une structure quasi parfaite de la mise en scène. Chaque séquence indépendamment des autres est travaillée avec minutie. Cela peut-aller d’un plan fixe à un simple traveling, le tout accompagné par une gestion sonore plus vivante que jamais, gestion sonore allant jusqu’à épouser le silence du Driver, l’accompagnant dans des scènes de poursuite courtes mais efficaces, et aussi brutales que la violence de certaines scènes du film. Tous ces différents détails contribuent à pleinement caractériser les personnages, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils respirent, ce qu’ils touchent, ce qu’ils entendent, ce qu’ils pensent... Nicolas Winding Refn fait partie de ces réalisateurs rares, comme Tarantino ou Oliver Stone (il fût un temps), qui rendent, au final, une œuvre palpable et organique où chaque expression de la part de Ryan Goseling et Carey Mulligan viennent transpercer ce grand rectangle blanc qui nous sépare d’eux pour nous allez tout droit en plein cœur et où en même temps chaque coup porté (fusil, marteau, couteaux...) font méchamment mal !
La lumière tout aussi travaillée fait partie intégrante de la narration et de la composition du cadre. Plongeant parfois une partie du visage du driver dans une pénombre symbolisant sa part obscure et ne le laissant apparaitre en pleine lumière qu’en présence d’Irene, miroir de ce qu’il y a de meilleur en lui. La bande-son est aussi un point sur lequel Drive mise tout particulièrement puisqu’elle est toujours en adéquation totale avec les personnages et plus précisément celui du Driver. Chaque morceau composé par Cliff Martinez ou repris de groupes comme Kavinsky ne sont jamais présent pour uniquement qu’accompagner les scènes, mais bien pour être constamment au service de la narration. Un peu comme Star-Wars ou plus récemment Tron où la bande-son joue un rôle vraiment à part entière, ce qui conforte encore plus l'œuvre dans son statut de « Film complet ».
Conclusion :
Générique rose bonbon sur fond de musique rétro, Drive, c’est un peu une rencontre incongrue organisée par James Gray (même si celui-ci reste le « Maître » en matière de dramaturgie), entre Le Transporteur et Sofia Coppola. Vrai film de genre à part expérimental, contemplatif, complet et malheureusement trop parfait durant sa première partie pour ensuite perdre un peu de sa superbe lors du deuxième acte, Nicolas Winding Refn rentre (à coup de marteau) malgré tout dans la cour des grands. Il n’y a plus qu’à confirmer.
Rédigé par N.Van et Nouchi du groupe Madealone.