Avec son thriller progressif et sensitif, qui évolue dans un univers de faux-semblants, Nicolas Winding Refn fait du beau neuf avec du vieux. Adoré, détesté, tout a été dit sur DRIVE: la maîtrise technique jusqu'à l'overdose, l'exercice de style, la mise en scène trop conceptuelle, l'esthétisme rare, le jeu des acteurs, etc. C'est avant tout un film 100% cinéma, extrêmement visuel (on aurait pu le faire sans dialogues, à la manière d'un VALHALLA RISING) et doté d'une bande originale subjuguante. Bien que différent, on peut l'inscrire sur la ligne de fond des deux précédents longs du réalisteur. NWR s'attache à exprimer la dualité du personnage/héros par le rapprochement des opposés: modernité et inspiration rétro, calme et nervosité, sensualité et brusquerie, fluidité et rupture tranchante... Déjà dans BRONSON, le héros, tête brûlée à l'allure de gros dur, manifestait un esprit sensible et rusé. Ici brille le portrait d'un jeune pilote quasi silencieux, travaillant en partie pour une mafia, et qui se fait justicier par l'entremise d'une rencontre. Concept. Le scorpion demande à la grenouille de lui faire passer la rivière sur son dos; d'abord la grenouille rechigne, mais elle finira par accepter face à l'insistance si affable du scorpion, qui se montre d'une infinie rassurance. Et le scorpion, abordant l'autre rive, piquera la grenouille de son dard mortel... Ainsi va le charmant Driver (sans nom), de sa timide voix, de son petit air mutin, une main d'acier dans un gant de cuir. Dans son apparente fragilité, Brian Gosling sied au rôle, sans faire preuve d'un magnétisme sensationnel. On peut lui trouver un air de Lucky Luke, de lonesome cow-boy, qui aurait troqué son cheval pour sa bagnole et sa veste cuir pour un blouson; un blouson blanc fétiche qui arbore, cousu au dos, un majestueux scorpion doré. D'une douceur trompeuse, l'homme a du ressort; il éclate comme un éclair soudain. Côté humour, on repassera: on n'en trouve ici pas l'ombre d'un soupçon, comme troqué contre l'effroi. Reste l'atmosphère, captivante, toute en ombres et lumières, mystères et tensions: NWR, talentueux magicien, sait happer le spectateur qui se laisse embarquer; les moins sensibles à cette ambiance ensorcelante s'ennuieront car le silence est d'or et la trame plutôt classique. Limite de la vituosité, on peut se retrouver à la fois emballé et agacé par le travail de la mise en scène, d'une conception excessivement marquée, qui alourdit certains plans: écho des lignes de fuite, cadrage, teintes rougeâtres (presque) omniprésentes. L'histoire, axée sur l'intersection d'une rencontre sentimentale et d'une affaire de réglement de comptes entre truands mafieux, ne possède ni grande originalité ni savante complexité. Pourtant l'attention se trouve soutenue par l'incertitude des relations et par le suspense généré par de l'imprévisilibité des irruptions violentes. Ponctuelle, l'action coup-de-poing trame le film d'un certain malaise, glaçant. Le choix des rôles secondaires fonctionne. Pour faire contraste, on nous baigne de calmes séquences qui oscillent entre sérénité légère et pesante inquiétude (comme avec la jolie Irene, interprétée par une Carey Mulligan au visage un peu trop gamin pour le rôle). Au milieu d'un tel rythme pour le moins rendu artificiel, le personnage central évolue comme un professionnel, impassible ou flippant, irrémédiablement distant, et, du coup, le spectateur qui voudrait s'y projeter risque de rester sur la touche, bousculé, un peu, passablement ébloui voire subjugué, mais jamais bouleversé ni profondément ému. Enfin, la chanson de College (Feat. Electric Youth) semble épouser l'âme du Driver, présenté comme un «vrai humain» et comme un «vrai héros»: or ce n'est qu'ironie du genre! Entre mutisme morbide, pétage de gueule et abandon sentimental, on a plus l'impression d'avoir à faire à la constitution d'un mythe (d'où l'absence de prénom) qu'à un modèle digne de cette appellation. Un film virtuose mais creux, aux accents durs et pénibles, dont le style impressionnant ne manque pas de séduire. Le très bon "Bride of Deluxe" Cliff Martinez clôt cet envoûtant thriller.