Dans Gomorra, la mafia contrôle tout, le travail, le logement, les oeuvres sociales. Les vies lui appartiennent. Etat dans l'état, monde hiérarchisé vivant en vase clos, forme exacerbée du libéralisme, elle est à la fois le miroir d'un monde en décrépitude et le rêve des gosses qui veulent en être. En contrepoint, la mort met un terme à toute vélléité d'évasion. En suivant les parcours entrelacés des oncles, des chefs de clan, des gosses de la cité, des têtes brûlées, des manipulateurs de billets, Matteo Garrone nous montre un monde de petites gens qui n'ont pour horizon que ce qu'ils connaissent. Vols, trafics, rixes, blanchiments d'argent, enfouissement de déchets toxiques, c'est à l'échelle d'une ville, puis d'un pays qui n'a jamais su (ou voulu) se débarrasser de la pieuvre, que Gomorra nous montre le monde dans lequel nous vivons. Filmant au plus près, alternant scènes nerveuses et plans larges édifiants et de toute beauté, Garrone fait du poison une oeuvre d'art. On assite alors à des scènes sidérantes, des enfants qui conduisent des camions, un couturier donnant des cours dans un atelier chinois, des gosses tirant à la kalachnikov dans un marais, un rite de passage à arme réelle, jusqu'au dernier plan qui glace le sang. Mais il nous montre aussi des personnages attachants et vulnérables, Toto le gosse qui rêve de grandir, Pasquale le couturier silencieux, Marco et Ciro qui se croient dans un film, Don Ciro le porteur de serviettes, Maria la mère rebelle, Roberto dont le père est si fier de son emploi... Pas d'issue, sauf peut-être pour deux d'entre eux. Passant de l'un à l'autre dans un canevas dense dont la puissance grandit d'image en image, Garrone réussit l'exploit de peindre un monde ignoré mais bien là, un monde de mauvais goût dans lequel on s'habille de tee-shirts américain en conduisant des Mini, un monde fastice mais réel que l'on imagine à cent lieues de nous et qui ressemble pourtant, le trait à peine grossi, à celui dans lequel nous vivons.