Gomorra, 2008, de Matteo Garrone, adapté du roman homonyme de Roberto Saviano, chercheur et journaliste, qui vit sous protection policière depuis son succès époustouflant en 2006, avec 1,2 millions d’exemplaires vendus ! Œuvre brutale, au point parfois d’en être gênante, ce film, Grand Prix du Festival de Cannes (dont le jury est parfois judicieux), est, dans son fond comme dans sa forme, l’anti-« Parrain » (Coppola), ce qui le réserve à un public averti. Tous les amateurs de minables héros de type Tony Montana (Scarface, de Brian de Palma) sortiront de la projection bien déçus et probablement pleins d’incompréhension, devant une forme de mise en scène très épurée, élitiste. Le réalisme des images, des histoires, des comédiens est rude, technique, jusqu’à en être rebutant ou ennuyeux, plus proche d’une forme documentaire rigoureuse que d’une fiction. Cela vient sans doute du fait qu’on n’est pas dans la fiction, mais dans la triste et bouleversante quotidienneté de ces pauvres zèbres de la région de Naples, dont la vie s’inscrit dès l’enfance dans un « système », LE système mafieux. On ne voit ici ni Parrain, ni grande structure de la Camorra, seulement la base, besogneuse, ligotée, en état de survie encadrée, planifiée, à travers cinq ou six histoires différentes, astucieusement choisies. Toutes se déroulent dans les mêmes murs déprimants d’une cité délabrée, tournée sur ses cours intérieures qui rappellent les constructions pénitentiaires. Le béton suinte d’un liquide aqueux dont on croit sentir l’odeur. Les terres alentours, où paissent les buffles qui fournissent le lait pour la mozzarella, sont infestées par les déchets hautement toxiques enfouis, les gamins sont éliminés quant ils ne suivent pas docilement les règles du système, la haute couture obtient à bon prix ses modèles glamour, travaillés par les petites mains talentueuses des ateliers clandestins. On est dans un monde tellement pourri qu’on se sent souillés. C’est puissant, implacable, effrayant.