Ah, Stuart Gordon...j'ai une affection particulière pour ce réalisateur car, même s'il a réussit à me décevoir avec "Robot Jox" et "Castle Freak", je n'oublierai jamais les bons petits moments qu'ont été "Dolls : Les Poupées", "Fortress " et "Dagon" ainsi que de m'être régalé devant "From Beyond : Aux portes de l'au-delà" et le culte "Re-Animator". C'est pourquoi j'ai décidé de visionner tous les films de ce réalisateur si particulier...et aujourd'hui on s'attaque à un grand tournant dans la carrière de Gordon : l'abandon de toute sorte de fantastique pour se concentrer sur un récit réaliste. Et c'est avec "King of the Ants" qu'il entreprit ce virage professionnel : avec un titre pareil et en connaissant le bonhomme, on aurait pu croire que l'on allait voir un homme capable de contrôler de charmant petits insectes et faire des ravages...et bien que nenni, parfois un titre ne dévoile pas le contenu d'un film et se la joue métaphore. Oui, car "King of the Ants" est bien plus terre à terre : on suit Sean, un jeune gars un peu paumé qui ne sait pas trop qui il est et ce qu'il doit faire de sa vie et qui vit de petits boulots. A l'occasion de l'un de ces derniers, il rencontre un homme qui lui propose un travail un peu plus lucratif et un peu moins légal. Ayant besoin d'argent et ne faisant pas spécialement preuve de réticence, Sean accepte donc ; mais tout ne va pas se passer comme prévu et sa décision va finalement se retourner contre lui...Et oui, fini les délires gores ou les escapades futuristes : ici c'est finalement plus la carte du simili-polar à tendance névrotique qui est jouée. Mais ce qui étonne le plus dans "King of the Ants", c'est cette étonnante atmosphère détachée et froide : Gordon se refuse absolument toute empathie envers son protagoniste principal et nous montre la descente aux enfers de Sean avec la plus grande neutralité possible, comme si finalement il avait bien cherché ce qui lui arrive. A aucun moment un zest de compassion n'est perceptible : on nous dévoile sans concession la succession de tortures que va subir Sean jour après jour, allant même jusqu'à le montrer dans la plus repoussante des représentations d'un homme meurtri, ce dernier devant sans se contrôler déféquer et uriner sur lui même suite au trauma des coups qu'il reçoit en pleine tête. Sa déchéance est totale aussi bien mentalement (voir ses
incroyables trips lorsqu'il dort
: c'est dans ces rares moments que Gordon se lâche un peu sur des images érotico-phantasmagoriques bien déjantées !) que physiquement (
au fur et à mesure des séances de tortures, son visage tuméfié se déforme de plus en plus faisant de lui un monstre
). Et devant ce spectacle tout à fait malsain, Gordon en rajoute une couche avec l'intervention quasi-paternelle de l'un des criminels qui soulage de temps en temps Sean tout en lui faisant la morale car c'est lui-même qui est responsable de ce qui lui arrive ! Particulièrement éprouvant, le récit s'accorde une petite parenthèse qui nous permet de croire que le cauchemar est fini et que Sean va pouvoir repartir à zéro afin de commencer une nouvelle vie...mais ce n'est que pour préparer une terrible vengeance qui nous confirme définitivement que Sean est réellement quelqu'un de marginal qui finalement se sent plutôt bien dans l'illégalité. Et il va l'accomplir sa vengeance, en l'exécutant avec une froideur déstabilisante. A croire en fait que c'est uniquement ce qu'il cherchait : s'accomplir en tant qu'humain dans un domaine qui lui va à ravir...et il n'y a qu'à voir le plan final du film pour s'en convaincre : on a la très forte impression d'assister à la naissance d'un psychopathe en puissance...Michael Myers n'a qu'à bien se tenir !!! Finalement, "King of the Ants" est un véritable drame social qui aboutit à une terrible conclusion, et pour rajouter de la force à ce récit, Stuart Gordon a pris une option de réalisation assez casse-gueule : la façon dont est filmé le métrage est à la limite de l'amateur avec des cadres parfois mal maîtrisés, parfois tourné avec un vulgaire caméscope comme si on avait voulu nous faire croire que toute l'histoire a été filmé par un protagoniste caméra à la main. Le souci de cette approche est que, si elle rajoute du réalisme au propos, le film est laid au niveau de l'image. Certains diront que c'est à cause du budget minimaliste, moi je suis persuadé qu'il s'agit d'une démarche pleinement consciente de Gordon mais cela handicape grandement le métrage, lui donnant une esthétique proche du repartage bas de gamme. Mais c'est réellement le seul reproche que je peux faire au film tant ce dernier m'a pris aux tripes. Niveau casting, même si parfois les dialogues ne volent pas haut, force est de constater que la plupart des acteurs s'en sortent bien : l'inconnu Chris McKenna incarne correctement un Sean si commun qu'on parvient très facilement à s'identifier à lui, surtout à partir de sa décision d'accomplir son crime ; Daniel Baldwin se retrouve une fois de plus dans un rôle de chef de bande véreux et excentrique et il faut bien avouer que cela lui va comme un gant ; un très bon point à George Wendt qui est délicieusement exécrable en incarnat une sorte de John Goodman très antipathique ; quand aux prestations de Vernon Wells et Lionel Mark Smith, elles sont plutôt anecdotiques ; et je terminerais sur la jolie Kari Wuhrer qui sera finalement le seul élément de fraîcheur au sein de cette histoire malsaine. "King of the Ants" est donc un film agréable mais très éprouvant vis-à-vis de son sujet dramatique, de sa violence et de son nihilisme. Mais la principale qualité de cette sombre descente aux enfers est d'avoir été le départ d'une renaissance cinématographique pour Stuart Gordon, et rien que pour ça il mérite qu'on s'en souvienne.