Depuis les années 90, la Corée du Sud dissèque, digère et revisite les codes du thriller américain jusqu'ici omniprésent. Même si Park Chan-Wook et Bong Joon-Ho font office d'arbres cachant la forêt avec leur cultissime Oldboy et Memories of Murder, une myriade de réalisateurs (Lee Chang Dong, Kim Jee Woon en tête) leur emboîte le pas dans leur analyse froide et chirurgical des pulsions humaines. Et c'est dans ce contexte que débarque Na Hong-jin avec son premier long métrage "'The Chaser" qui s'inscrit déjà comme le manifeste du renouveau d'un genre éculé: le film de serial-killer .
Son oeuvre assurément jusqu'au-boutiste pousse tous les curseurs au maximum pour une expérience puissante et mémorable. Ce qui frappe en premier lieu, c'est la dimension implacable et cruelle du long métrage; cruauté envers les personnages qui sans répit, hurlent, s'insultent, courent, souffrent et font souffrir; mais surtout envers le spectateur qui est littéralement happé par ce déchaînement de violence physique et psychologique. Tous les repères de Bien et de Mal sont brouillés avec une galerie de protagonistes aussi égoïstes que détestables mais qui transpirent l'humanité et l'empathie dans cette spirale inflexible de douleur et de sidération.
La structure scénaristique déjoue constamment les attentes, renforçant le déracinement tandis qu'un vertige haletant nous prend. Le tueur est ici connu et appréhendé dans les 20 premières minutes suite à une course-poursuite inoubliable (comme toutes celles qui émaillent le film). L'enjeu est ailleurs, entre l'enquête du proxénète pour retrouver son employée qu'il a sciemment envoyée dans la gueule du loup et l'implosion d'une bureaucratie policière incompétente et carriériste.
Et dans cette nuit pluvieuse et crasseuse, point d'happy-end à l'horizon, c'est encore une fois la mort qui frappe tandis que le soleil se lève sur Séoul
Des visages crispés par l'urgence et l'impuissance aux corps martyrisés, la direction d'acteurs est magistrale. Comment ne pas mentionner la performance Ha Jeong-woo qui campe ingénument un tueur réellement terrifiant dans une partition qui n'est pas sans rappeler celle de Kevin Spacey dans Se7en
(que Na Hong-jin cite directement dans la confrontation finale lors de laquelle Kim Yoon-seok voit dans un flash le visage de sa prostituée assassinée tandis qu'il hésite à achever ou non l'homme responsable de ce cauchemar)
. Enfin, il faut également louer les chorégraphies, notamment des poursuites et des tabassages si chers au cinéma coréen, qui respirent l'authenticité et ancrent encore plus le film comme un combat de chaque instant où l'audience n'est pas arbitre mais bien parti prenante.
Ainsi, quel tour de force que ce "The Chaser" qui, assumant sa filiation évidente avec Memories of Murder, parvient à la sublimer le temps de cette nuit cauchemardesque, emmenant directement Na Hong-Jin tout en haut de la liste des cinéastes coréens à suivre dans les prochaines années !