Il est des films qui, à leur vision, vous donne une envie irrépressible de courir prendre une paire de ciseaux et de tailler dans la pellicule pour extraire quelques dizaines de minutes qui puissent donner matière au bon film que le réalisateur a raté. "Good Morning England" (traduction "française" de "The Boat That Rocked", allusion au slogan de Radio Caroline : The boat rocking the world) fait partie de ces films, tant on peut distinguer quelques pépites au milieu d'une gangue de fange.
Commençons par la fange. On sent bien que Richard Curtis est parti d'une idée simple, l'évocation nostalgique des radios pirates qui symbolisaient le vent de nouveauté sur la jeunesse de la fin des années 60, et qu'il a dû se dire qu'il faillait étoffer le propos. Il a donc développé des thèmes parallèles : l'impact de ces radios sur la population britannique, la vie sexuelle de dix barjots dans un espace confiné, les rivalités entre DJ à l'ego disproportionné, le combat du gouvernement rétrograde -mais néanmoins travailliste, même si ce n'est pas dit - contre ce foyer de sédition morale, et la recherche du père par Carl, le Fabrice de service. Résultat, à vouloir traiter tous ces sujets, le film s'étire sur 135 minutes.
Et surtout, il s'étire dans un manque de finesse étonnant de la part du scénariste de "Quatre mariages et un enterrement". On a le droit à toutes les variations boulevardières sur le cocufiage, le dépucelage et la scatologie, et la volonté de modernité revendiquée aussi bien par les personnages que par le réalisateur ne parvient pas à dissimuler combien ces vieilles (et grosses) ficelles sont usées. Cet humour caca-prout-zizi rappelle plus Benny Hill que "Noblesse oblige", et cette balourdise se manifeste aussi dans le registre plus dramatique, avec un fin carrément ridicule tant elle est à la fois prévisible et irréaliste.
Il n'est pas étonnant que Richard Curtis évoque l'inspiration que lui a fournie "M.A.S.H.", car on retrouve l'aspect potache de certains épisodes, comme celui de Lèvres en feu. Mais cette vulgarité revendiquée qui avait une véritable force en pleine guerre du Vietnam a perdu tout aspect subversif aujourd'hui, et ce n'est d'ailleurs pas étonnant si de tous les films d'Altman, "M.A.S.H." est certainement un de ceux qui a le plus mal vieilli.
Pourtant, il y a des moments qui fonctionnent, et ce sont précisément ceux qui sont traités sur le mode de l'évocation, et non sur celui de la narration. Je pense notamment à la scène où le Comte annonce qu'il va violer le tabou absolu sur les ondes radiophoniques britanniques, à savoir prononcer le mot fuck, ou celui où Emma Thompson en caban pied-de-poule révèle négligemment à Carl l'identité de son géniteur, ou encore tous ces plans d'auditeurs réagissant avec délectation aux sacrilèges des pirates des ondes.
Soulignons aussi la composition savoureuse de Kenneth Branagh en ministre ultra-répressif qui va finalement concevoir une loi bien réelle, connue sous le nom de Marine Broadcasting Offences Act, et qui en criminalisant l'aide apporté aux radios pirates entraîna la fermeture de la plupart d'entre elle le 15 août 1967. Brannagh s'est fait une tête qui remixe Harold Macmillan et l'Oncle Vernon, et on sent la jubilation de ce grand auteur shakespearien à jouer un pareil bouffon.
Et puis, il y a la B.O.F. qui explique à elle seule l'entreprise de ces doux dingues avec pêle-mêle et entre autres les Kinks, les Turtles, les Who, les Moody Blues, Cream, Jimmy Hendrix, Procol Harum, Ottis Redding, Cat Steven et David Bowie. Et dire qu'à cette époque, la France faisait un triomphe à Soeur Sourire...
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