Nuit de chien : les secrets du tournage

Nuit de chien a été présenté en compétition à la Mostra de Venise en 2008. A cette occasion, un prix Spécial du jury (présidé Wim Wenders) a été remis à Werner Schroeter pour l'ensemble de son oeuvre.

Le scénario de Nuit de chien est cosigné par Gilles Taurand, collaborateur entre autres d'André Téchiné, Anne Fontaine ou Robert Guédiguian. Il parle du livre de Juan Carlos Onetti : "Tout l'art d'Onetti consiste à faire croire au début qu'un ennemi invisible encercle la ville et qu'il est encore possible d'y échapper. Un paquebot est à quai et doit lever l'ancre aux premières lueurs de l'aube. Jusqu'au moment où le lecteur se rend compte que la ville est tout autant assiégée de l'intérieur (...) Une nuit de chien est un récit paranoïaque d'une noirceur peu commune qui s'inscrit dans la veine de Franz Kafka (...) Ce qui prédomine, et nous permet d'affirmer que ce récit a une portée universelle, au-delà de son décor crépusculaire, c'est le paysage humain qui le compose de façon implacable comme le ferait une tragédie grecque (...) Il est des rencontres plus essentielles que d'autres. Le roman d'Onetti, l'univers intime de Werner Schroeter, la volonté combative de Paulo Branco, autant de convergences qui m'ont conduit à me lancer sans hésiter dans cette adaptation."

Nuit de chien est l'adaptation du roman Une nuit de chien, roman de Juan Carlos Onetti publié en 1943. Né en 1909 à Montevideo, l'Uruguayen Onetti signe plusieurs nouvelles dans les années 30. Auteur d'un premier roman, Le Puits, en 1939, il part pour Buenos Aires en 1942, où il travaille comme journaliste pour l'agence Reuters. C'est durant cette période qu'il écrit Une nuit de chien, inspiré par la Guerre d'Espagne. De retour à Montevideo en 1954, il fuit la dictature militaire en s'installant en 1975 à Madrid, où il passera le restant de ses jours. Lauréat du prestigieux Prix Cervantes en 1980, il disparait en 1994.

Souvent qualifié de provocateur, l'Allemand Werner Schroeter, qui a tourné avec un casting essentiellement français, estime cependant : "Le film ne pose que des questions et ne transmet pas des opinions. Il montre une vision du monde en plein processus d'autodestruction. Le film est une mise en garde, il vise à faire réfléchir le spectateur. Je l'ai plutôt conçu comme une peinture à l'huile et non pas comme une contribution au douillet cinéma-opinion allemand. Je dirais qu'il est délibérément français."

Le cinéaste revient sur la vision pessimiste du monde qui se dégage de Nuit de chien : "Pensez à Barcala, le dictateur qui s'est planqué, lorsqu'il dit : " J'étais un homme honnête. " Les personnages ont tous été honnêtes un jour. Mais une certaine obsession, une manie d'amour perverti, les a corrompus. Et ainsi ils finissent un jour dans ce système politique, dans lequel ils s'entre-déchirent. Les obsessions frustrées conduisent à des situations dans lesquelles tout le monde contribue à creuser la fosse commune. Prenez la République de Weimar : c'était bien une perspective pour la construction de la démocratie. Et puis tout s'est terminé dans le " Troisième Reich ""

Gilles Taurand livre quelques clés concernant son travail d'adaptation du livre : "Dans le roman d'Onetti, on ignore pour quelle raison [le héros, Ossorio] se retrouve pris au piège dans une ville dont il cherche désespérément à s'échapper. Une de mes premières décisions a été de lui inventer un passé. J'en ai fait un chirurgien qui s'est un jour lancé dans la politique, militant dans un Parti dont on imagine aisément qu'il était à l'opposé des militaires qui désormais veulent prendre leur revanche. Ossorio a ainsi combattu les troupes du général Fraga dans les montagnes du Nord. Il est devenu " le colonel Luis ", une sorte de héros mythique. Mais c'est un personnage défait qui revient à Santamaria (...) Pourquoi revient-il ? Pour mourir en beauté ? Onetti ne donne aucune indication. C'est d'ailleurs un des défis de ce projet que d'embarquer le personnage principal dans une action au présent toujours soutenue, exactement comme le ferait un "thriller, tout en distillant ça et là des fragments du passé, celui d'Ossorio, de Clara, de Morasan, de Barcala et d'autres, sans jamais donner à ces fragments une valeur de clé psychologique. Une nuit pour chercher une vérité qui fuit sans cesse."

Si l'action du film se situe dans un pays imaginaire, Nuit de chien a en fait été tourné au Portugal, patrie du producteur Paulo Branco.

Cinéaste de la passion, Werner Schroeter expose sa vision de la mort et de l'amour. Au sujet de la première il confie : "Quand j'étais jeune homme, la mort m'attirait déjà. Celui qui ne pense pas à la mort au moins cinq minutes par jour ne vit pas, mais fuit quelque chose. Vivre avec la mort est pour moi la seule préparation possible à l'éternité. Et à part cela, la tension entre la vie et la mort me tente. Pour moi, c'était toujours l'ici et maintenant qui importait. Les épicuriens disent : il n'y a pas de vie dans la mort et pas de mort dans la vie. Tout de même, vie et mort se côtoient, comme deux parallèles qui se rejoignent dans l'infini." Et à propos de l'amour, il note : "Pour moi, tout commence avec l'appréciation de l'autre, et s'approcher de l'amour signifie ne pas vouloir changer l'autre, mais l'éprouver comme un ajout sensé et passionné à soi-même. Vous savez, j'aime infiniment être seul, mais je n'aime pas la solitude. Dissoudre la solitude, c'est cela qui compte dans l'amour."