"Mais toi, tu es française, africaine, marocaine ou arabe ?" demande Elodie à Sofia quand la maîtresse veut démarrer sa leçon de géographie en demandant aux enfants les plus colorés de la classe où ils sont nés. On comprend qu'elle ait du mal à cataloguer sa copine, tant elles semblent partager la même vie, et son père l'autorise sans aucune réticence à passer une journée champêtre avec Sofia et sa famille.
Cette question de l'identité de ces enfants aux deux pays, Marocains en France et Français au Maroc, le coeur partagé des deux côtés de la Méditerranée, fournit un sujet passionnant et peu souvent traité au cinéma. Le point de vue de la réalisatrice n'est d'ailleurs pas celui de Sofia, mais celui d'Elodie qui disparaît pourtant après 20 minutes : "Le point de départ du scénario remonte à une expérience de mon enfance qui m'a énormément marquée. J'avais une petite copine algérienne qui, du jour au lendemain, a disparu. Aux nombreuses questions que je posais, la seule réponse qui m'était faite était : "Elle est retournée dans son pays." Pour moi, c'était l'incompréhension : elle était bonne élève, elle était née en France, elle ne m'avait jamais parlé de l'Algérie. Pour l'enfant que j'étais, c'était un paradoxe insoluble : comment peut-on avoir un pays qu'on ne connaît pas ?"
Louables intentions, et sujet passionnant : voilà donc les ingrédients d'un film intéressant. Malheureusement, on déchante très vite, car on n'arrive pas à rentrer dans cette histoire. La faute à la mise en scène, hiératique et schématique. Chaque plan commence avec des personnages figés, dans des attitudes artificielles, puis ils se mettent en mouvement, comme il leur a sans doute été demandé, trois secondes après le "Action !". Le père est malheureux à cause de sa situation financière : il traverse les scènes la mâchoire crispée et les sourcils froncés ; Sofia est heureuse parce que son père lui a promis de lui rendre son passeport : elle sautille comme Candy, un sourire extatique aux lèvres.
On a aussi du mal à comprendre Sofia, et on en arrive presque à approuver son entourage, tant son entêtement et sa façon de balancer sa nationalité française d'un air de supériorité dédaigneuse à la tête des "bledards", que ce soit sa camarade de chambre ou son petit ami, finit par agacer. Si, comme l'explique Souad El-Bouhati, "Le pays d'origine qui lui manque tant n'est pas la France, c'est son enfance", comme le montre la scène finale en trompe-l'oeil, son attitude n'en est pas moins très souvent incohérente, à l'image de sa fugue du foyer qui en l'empêchant de passer son bac, la condamne à rester au pays.
Hafsia Herzi, honorée du César du meilleur espoir féminin pour "La Graine et le Mulet", est ici en roues libres, et son jeu se limite trop souvent faute de direction à une démarche à la Rosetta et à des explosions du type "Vous pouvez pas comprendre !!!". Le reste de la distribution ne rattrape pas ce manque de naturel, loin de là ; parfois, le recours à des acteurs non professionnels ou novices peut devenir une force, quand la mise en scène joue de cette fragilité, comme chez Bresson, Dumont ou les frères Dardenne. Ici au contraire, elle en souligne la fausseté par sa pesanteur et un rythme perpétuellement à contre-temps.
Une nouvelle fois, de bonnes intentions ne font pas un bon film. La réalisatrice est restée au milieu du gué : n'ayant pas la maîtrise de la grammaire du cinéma qui permet la fluidité, elle ne s'est pas non plus affranchie clairement des règles canoniques, enfermant au contraire son récit dans le carcan d'une raideur narrative. Dommage, car le résultat va à l'encontre de l'intention, et l'agacement se dispute à l'incompréhension devant une aussi vaine agitation.
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