Le premier Ivan le terrible en imposait déjà mais restait juste un peu lourd. Là c'est limite du Hamlet, vicieux, tordu, sombre, et encore plus virtuose question formalisme, maniérisme et autres mots en isme pour expliquer que la mise en scène te met minable tout film récent qui se veut "à ambiance dark". Pas étonnant que Staline et la critique ne s'en soient pas remis. Même avec la censure exercée, le film demeure gonflé et se condamne volontairement aux intrigues de palais s'enfermant dans les dédales de pierre, les monastères macabres ou sous les voûtes massives de la grande et froide salle du trône. Ces décors monumentaux appuient la puissance de la Russie mais aucun extérieur ne vient libérer du sombre ban de crabes aux apparats prestigieux qui s'agite autour d'Ivan, seul, en proie au doute constant, tellement audacieux de la part d'Eisenstein.
Oubliés les ouvriers, les paysans, les marins ou le peuple qui se révoltent, oubliée même la vie intime d'Ivan première période, sa puissance tyrannique et paradoxalement quasi divine, le poids de sa charge et le venin de la cour sont les seules préoccupations du scénario. Alors que la couleur jaillit pile pour le festin du Tsar, grandiloquent et décadent de rouge et de sépia baveux, la farce finale carnavalesque termine en beauté un film théâtral, lent, pesant, mais puissant, où chaque image, chaque visage est un tableau de maître évocateur d'une puissante mystique universelle. Nikolai Cherkasov en fait magnifiquement trop de présence physique, comme tous les autres du reste. Les costumes en couches de fourrures dorées infinies sont comme on n'a pas encore fait mieux depuis, et le plan du prêtre devant les tombes encerclées de bougies, les choeurs d'enfants pour avertir le tyran, etc, etc : puissant. Et la musique de Prokofiev : parfaite.