Se lancer dans une rétrospective sur le début de la fin de carrière de Sylvester Stallone n'est pas chose à conseiller à toute personne au moral un peu bas. Il nous l'avait promis (et prouvé) avec Rocky Balboa : l'adieu à ses icônes ne passera que par une confrontation désespérée avec ses propres démons. Ainsi, après la maladie, l'approche de la mort et le deuil de Rocky (qui se pointent coup sur coup dans Balboa puis Creed et Creed II), c'est la fragilité, la vulnérabilité de la vieillesse, une nouvelle (et dernière) fois le deuil et le sentiment de ne plus être intégré dans les rouages du monde qui se poseront comme les pistes de réflexion principales de cet ultime Rambo.
Nommé à juste titre, d'ailleurs : Last Blood, renouant avec le First Blood originel, promet au public une conclusion pour le personnage dans la lignée du premier volet. C'est annoncé, le ton reprendra les dimensions dramatiques et humaines du premier volet, auquel il ajoutera une propension à la tragédie qu'on n'attendait pas avec ce personnage, qui nous avait jusqu'ici plus habitués à donner qu'à recevoir (Rambo, c'est un peu l'Abbé Pierre de la guerre). Et comme pour changer ses habitudes, pour sortir de sa zone de confort, Sly inverse, le temps de son premier acte, la donne en le plaçant comme victime, plus comme prédateur.
Il nous apparaît dépassé, planqué dans un ranch idéal pour attendre paisiblement la venue de son heure, incapable de reprendre du service pour matraquer de nouveaux ennemis. On ne va pas se mentir : Rambo n'est plus dans le coup. Il s'est même coupé les cheveux, c'est dire. Naturellement, il s'est aussi débarrassé de son bandeau. L'âge, son regard endurci par les années, tout cela fait qu'on ne le reconnaît presque plus; vous lui auriez collé n'importe quel autre nom que cela aurait quand même fonctionné.
On ne voit plus Rambo, mais Stallone. On n'assiste pas au baroud d'honneur d'un vétéran du Vietnam, mais aux adieux émouvants d'un acteur légendaire.
Adieux à son double parfait, et au public; adieux permis, accessoirement, par la disparition du style reconnaissable entre mille du personnage. Le voir comme un monsieur tout le monde, débarrassé des attributs qui représentaient sa surpuissance de combattant invulnérable, participe à l'appréhension qu'on ressent en le voyant se mettre en danger comme s'il avait encore 35 ans. Forcément qu'il prend sur la gueule par des dizaines de gars; c'est qu'il n'a plus la force de riposter dignement. C'est aussi scandaleux que Terminator : Dark Fate, parce qu'on sait que le personnage se relèvera malgré son âge et l'état de ses commotions.
Bien sûr que c'est primaire, qu'on ne le regarde pas pour réfléchir ou s'extasier de son esthétisme : les dialogues (parfois touchants), la mise en scène (pourtant nerveuse), et la photographie respirent la série avec un petit côté téléfilm façon Du plomb dans la tête (sûrement la faute des CGI), mais n'est-ce pas aussi leur personnalité bis et datée qui rendaient les films d'action de Sly uniques, attachants et prompts au revisionnage jouissif? Le charisme de l'acteur, aussi, qui s'est vu muter en une force tranquille de l'âge, à la manière d'un vieux volcan qui n'attend qu'une injustice supplémentaire pour entrer en éruption et tout réduire en cendres sur son passage.
Et cela se produit forcément lors du troisième acte, après que Sly ait démontré, par sa touchante pudeur, ses capacités à jouer la tragédie. Ces dernières vingt-minutes, jouissives et régressives à souhait, renvoient aux séquences d'action à grande échelle de Rambo III et Judge Dredd, avec la brutalité animale et de John Rambo. Un quatrième épisode dont il reprend l'ultraviolence en la décuplant sans limite; John a beau avoir vieilli, ça ne l'empêche pas d'avoir toujours le coeur sur la main.
Ce dernier acte, perceptible comme la récompense d'avoir souffert les atrocités de sa deuxième partie, résonne comme une libération : celle du spectateur, qui peut enfin profiter de la justice sauvage de ce Taken sans concession, et celle de Sly Rambo, libéré des démons de son passé et affranchi du spectre de la vieillesse. Car John autant que Sly, au lieu de vieillir, affirment encore plus leur légende intouchable, et signent les adieux au public d'un cinéma de divertissement qu'on essaie de reproduire depuis les années 2000, sans jamais être parvenu à l'égaler.
Des adieux difficiles à accepter pour l'amateur de l'époque et de ses icônes indémodables, qui en redemanderait jusqu'au dernier sang.