On entre dans le film comme en un spectacle : le formidable est caché derrière un rideau, le Londres est sombre où se terre la lumière. Revenu sur les chapeaux de roue après son médiocre Les Frères Grimm, Gilliam renoue avec son Angleterre chérie en usant d'une imagination redoublée qui trouve un bel écho dans des effets spéciaux sachant jouer la carte de la pérennité en ne débordant pas d'essais technologiques. C'est du rêve naïf façon Le merveilleux magasin de Mr. Magorium (même le titre nous le rappelle), mais en plus pur.
Pourtant, une longue partie de remplissage nous attend où le casting semble ne pas savoir quoi faire de ses dialogues. Le drame survient gravement, inopinément, au pire moment, sans raison, et l'écriture automatique qui semblait se faire la bonne étoile du scénario est remplacée par un pilotage paniqué où le personnage de Heath Ledger, Tony, est à peine intégré.
Tout ça, c'est parce que les réécritures qui suivirent le décès de l'acteur ont coupé le film en trois. Leur créativité générale s'accompagne de bloopers monumentaux. Pour n'en citer qu'un : Tony, à peine débarqué, prend en charge la roulotte de ses nouveaux amis artistes, prétendument fauchés, de qui il obtient une forte somme d'argent sans autre forme de procès pour, en moins d'un jour, changer leur spectacle (achats, mise en place et répétitions comprises, apparemment) où Valentina, mineure, apparaît nue (et on ne sait pas pourquoi, mais ça n'a pas l'air de la gêner, ni son père qui joue juste devant elle). Alors, je sais que c'est plus ou moins de la fantasy, mais enfiler les prétextes grotesques comme ça, c'est invariablement "non". D'un côté, tout cela dommage pour le film, mais d'un autre côté non.
Le départ de Ledger a profondément marqué l'ouvrage de Gilliam, au-delà de le piqueter de fautes bêtes. C'est un film blessé, au sens premier du terme. Rares sont les œuvres qui s'en tirent indemnes, mais L'Imaginarium du Docteur Parnassus était, entre tous les tournages traumatiques, le plus apte à y trouver une maturité involontaire. Car il y a Christopher Plummer, qui est quand même pas mal, et puis Tom Waits qui est géant. Dans le monde dépareillé de l'ancien Monty Python, ces caractères forts étaient la garantie que toute cicatrice laissée par des aménagements de dernière minute ne pourraient que bénéficier à la joyeuse folie d'un monde virevoltant. Tom Waits, jouant le Diable, devient l'incarnation de la malédiction qui pesait sur le film, et il est parfait dans son petit monde visuel tourmenté.
Quand l'histoire retombe sur ses pattes, les souvenirs de la platitude narrative s'estompent à la fois que la fadeur des trois caméos improvisés (Depp, Law et Farrell). Je dis bien "la fadeur", sans vouloir être cynique, car les acteurs n'appartenaient pas au film. Ils n'en ont fait partie que pour Ledger et ça se sent. Mais qu'importe le raté factuel : la pellicule aurait simplement pu être jetée et éviter ainsi la diatribe. Or on a eu le courage de la soigner et de l'envoyer au grand écran encore toute enroulée dans ses bandages, sans que cela n'atteigne la créativité cette fois bien placée d'un réalisateur devenu trop discret. Et ça, ça ne se note pas avec tiédeur.
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