William Wyler, spécialiste de l’adaptation à l’écran des œuvres littéraires des grands auteurs ( Henry James, les Sœurs Brontë, Owen Davis, Somerset Maugham, Theodore Dreiser,…), fut l’un des réalisateurs les plus vénérés de l’âge d’or d’Hollywood, détenteur de trois oscars et nominé à neuf reprises. Il est bizarrement descendu de son piédestal dès les années 1960 après son dernier grand succès (« Ben-Hur » en 1959) pour les mêmes raisons que celles qui avaient fait sa gloire. Il était tout-à-coup devenu un excellent technicien, honnête faiseur et directeur d’acteurs mais sans véritable point du vue artistique avec en sus le défaut d’être tyrannique sur ses plateaux. En 1949, alors au sommet de sa gloire, il est contacté par Olivia de Havilland, elle aussi très populaire avec déjà un Oscar dans la poche, qui souhaite voir transposé à l’écran la pièce de Ruth et Augustus Goetz inspirée de « Washington Square », un roman d’Henry James paru en 1880. Succédant à Errol Flynn d’abord envisagé par Wyler, Montgomery Clift, tout juste remarqué dans « La rivière rouge » d’Howard Hawks, se joint à la distribution dans le rôle du « bad guy » coureur de dot. Il est rejoint par Miriam Hopkins que Wyler connaît bien et Ralph Richardson, grand acteur de théâtre britannique. Après la vision du film, on comprend facilement pourquoi Olivia de Havilland, la douce Mélanie Hamilton de « Autant en emporte le vent » (Victor Fleming en 1939) très à l’aise dans les rôles doloristes souhaitait voir le roman d’Henry James porté à l’écran. L’actrice très pugnace qui venait de gagner son combat contre Jack Warner pour sa liberté artistique mais aussi très opportuniste a eu le nez creux, réussissant pour l’occasion à décrocher son second Oscar dans un rôle principal.
Manquant gravement d’assurance, Catherine Sloper, la fille d’Austin Sloper (Ralph Richardson) médecin réputé devenu veuf et jamais remis de la disparition de son épouse, va se laisser séduire par Morris Townsend (Montgomery Clift), un aigrefin qui a prestement repéré la bonne affaire. Se met alors en place un jeu triangulaire diabolique entre le père qui a vite démasqué le jeu du jeune aventurier usant de tous les subterfuges pour forcer le passage et sa fille qui s’accroche à cette relation improbable pour enfin recueillir le respect d’un père qui la ramène sans cesse à la comparaison peu flatteuse avec sa défunte mère
. William Wyler s’y entend à merveille pour faire naître le suspense là où il ne paraissait pas s’imposer au sein d’une intrigue aux enjeux parfaitement limpides. La prestation d’Olivia de Havilland a été justement récompensée par l’Académie des Oscars même si certains pourront trouver la timidité presque maladive de Catherine Sloper un peu surjouée dans la première partie. Mais la transformation du personnage dans la partie finale reflète tout simplement le travail d’une très grande actrice. La performance subtile de Montgomery Clift est aussi à souligner qui crédibilise parfaitement l’empressement soudain de la très gauche et effacée Catherine Sloper. Quant à Ralph Richardson, il semble fait comme un gant pour ce rôle de médecin torturé tout à la fois par le décès de son épouse et le mal qu’il fait en retour à sa fille. L’ensemble parfaitement orchestré par un William Wyler veillant à chaque détail est captivant. Vraiment, on peut se demander ce que la critique mondiale dans la foulée de la Nouvelle Vague pouvait reprocher à William Wyler dont aucun de ses films n’est médiocre quand ils ne sont pas tout simplement excellents. Les acteurs le savaient bien qui se refusaient rarement à jouer sous sa direction en dépit de sa réputation de despote.