L'histoire en image du péril jaune, pour nous et pour eux-mêmes.
Quel dommage, que les alter-mondialistes soient souvent de si piètres professionnels. Vous me direz, c'est dans l'ordre des choses, les pros, ils aiment que leur talent soit rémunéré correctement, ils ne vont pas faire des documentaires vus par 3 péquins sur un an, et encore moins pour critiquer le pourvoyeur mondial de marchandises.
Car le problème de ce documentaire, c'est qu'il n'a pas vraiment été fait avec le talentueux photographe Edward Burtynsky. Pas dans son dos, certes, mais pas avec sa collaboration intellectuelle complète. Ou, pour appeler un chat un chat, pas son assentiment financier. Peut-être pour laisser du champ aux revenus des expos et des conférences du globe-trotter de l'industrialisation, ou peut-être par manque de budget pour consacrer du temps et des billets d'avion à suivre ce remuant photographe.
Car il y a de bons moments, de bons cadrages, et la qualité de la pellicule ne démérite pas. Par contre, le son est souvent pourri, et il manque cruellement de chiffres, d'anecdotes, d'histoires, qui devraient venir du photographe, mais qu'il se refuse à nous donner pour se réfugier dans de la philosophie tiède.
Par ailleurs, le fait de montrer des photographies fixes est toujours un peu frustrant, surtout que la définition et les mouvements de caméra ne sont pas au top en studio, à part une ou deux exceptions de qualité.
On ne parlera pas de la séquence où l'on voit le photographe payer les figurants, sans autre explication, que ce petit côté insolent. Bien futile et peu porteur de sens.
Bref, il manque beaucoup de cohérence, de beauté ou de textes, à défaut d'images. Même fixes. De temps aussi, on pouvait rester une demi-heure de plus sans trop s'ennuyer.
Car, et heureusement, ce film a au moins une qualité, son sujet. Ce photographe renommé qui n'est pas un grand artiste, a une autre qualité, c'est un homme de grands projets. Et il s'en donne les moyens techniques et financiers. On s'approche parfois de la dimension de négociation nécessaire à prendre de tels clichés qui ne peuvent être « volés », surtout sur les propriétés privées que constituent les chantiers ou les mines. On effleure la quantité phénoménale de kilomètres et de temps qu'il faut pour faire un panorama mondial et surtout Chinois de photos ultra réalistes et techniquement ultra fines. On voit un peu l'organisation du marketing permettant une autonomie financière : conférences, livres, exposition, et c'est tout.
Le problème véritable, c'est peut-être de n'avoir pas choisi son sujet, le photographe des paysages détruits par l'homme, ou la découverte en film des paysages manufacturés. C'est peut-être aussi ce qui explique le détachement du photographe, qui a compris rapidement que la réalisatrice n'avait pas les moyens de ses ambitions, ni même choisi son ambition.
Et pourtant, le sujet est formidable. Et il reste presque vierge. Surtout au niveau esthétique, totalement sous-exploité. Mais aussi au niveau documentaire, bien trop laconique.
Il reste quelques bons moments. L'annonce d'une catastrophe écologique et humaine hallucinante, pas si lointaine. Avec des apprentis sorciers qui ressemblent beaucoup à des enfants qui découvrent un jouet, sans comprendre qu'il ne leur était pas destiné. En tout cas pas à cette échelle. Pendant une bonne partie des interviews, ils en sont très fiers, mais ils seront moins fiers de la puissance du retour de baton d'un comportement aussi irresponsable de frime pure et dure.
On voit aussi que le peuple chinois, quand il n'a pas une peur panique de dire la vérité, donne un aperçu de son désabusement complet, à la limite de la rancune envers un régime qui mélange capitalisme débridé et dictature autant qu'envers un pays qui échappe par sa démographie à tout tentative de planification.
On peut citer aussi la musique, très contemporaine, mais à la limite de l'écoutable et particulièrement bien composée pour le message sous-jacent et la violence des images de décomposition industrielle, chapeau Mr Dan Driscoll.
Espérons qu'un vrai réalisateur prenne le sujet en main, pour nous offrir la fête visuelle et le festin pour le cerveau qu'il recèle. Où plus simplement le photographe lui-même, après tout, il en a l'envergure, et les photos d'Arthus Bertrand ont déjà donné un film sympathique sans une seule scène filmée ! (La terre vue du ciel).