Quartier Lointain est le troisième long-métrage du réalisateur. Il repasse derrière la caméra pour ce film aux allures fantastiques après avoir goûté au réalisme en suivant au plus près de la caméra les déboires d'une veuve de cinquante ans, Maggie, qui se décidait à travailler dans un peep show de Soho pour sauver son petit-fils. Elle prenait le nom d'Irina Palm. Le premier long-métrage quant à lui s'intéressait avec un humour désabusé aux désordres laissés par la doyenne, la grand-mère Rosa, au sein d'une famille de confession juive (Le Tango des Rashevski)
Le film de Sam Garbarski est une adaptation de la bande dessinée publiée par Jiro Taniguchii en 2002. La remémoration du passé est une constante dans l'ensemble de l'œuvre de Taniguchi et est au centre de Quartier Lointain. La BD a connu un vif succès public et critique puisqu'elle a été auréolée du Prix du meilleur scénario au Festival d'Angoulême 2003 et primée au Forum de Monaco en 2004. Après quelques œuvres historiques, Jiro Taniguchi s'est intéressé à des récits plus intimistes autour du foyer familial, mettant en avant la nostalgie de l’enfance ou encore la beauté de la nature. C'est cet éloge du quotidien (aux accents magiques) que l'on retrouve dans Quartier Lointain.
Le travail d'adaptation du manga a été une véritable gageure pour le réalisateur ainsi que ses scénaristes (Jérôme Tonnerre et Philippe Blasband). Ces derniers ont énormément concentré les événements: une grande partie du manga se déroule au collège or cinématographiquement, l'histoire adolescente apparaissait trop prégnante dans la vie de Thomas. Dans le manga il faut un mois pour que l'adolescent se rende compte que son père est en train de partir de la maison. Une telle longueur aurait été préjudiciable pour le film: "Alors il fallait scénaristiquement éviter cette longueur dans le sens cinématographique. Alors on l'a fait revenir au moment où son père aurait déjà dû être reparti. C'était une belle trouvaille de Jérôme Tonnerre" rapporte le cinéaste. Par ailleurs l'équipe a supprimé les flashbacks qui auraient nui à la linéarité du scénario.
Si la transposition du manga à l'écran a été périlleuse c'est également à cause du contexte historique qui renvoie à l'histoire du Japon après-guerre. Or le réalisateur délaisse le cadre japonais pour les Alpes Françaises. Le cinéaste explique les écueils qu'il a fallu éviter: " J’ai essayé le plus possible d’être moi-même et de ne pas trop m’obséder ni avec la bande dessinée, ni avec le Japon. Pour un Belge né en Allemagne, d’origine polonaise, faire un film japonais, c’est dangereux (...) Je me suis approprié l’histoire et l’âme de cette histoire, et j’ai par là peut être rencontré mon âme sœur. J’ai essayé de rester moi-même, par rapport à ce que j’ai ressenti lorsque j’ai lu la BD ". Même s'il fallait respecter un minimum de conventions ce n'est pas tant le contexte historique qui a séduit le réalisateur que la virtuosité formelle éblouissante du manga : "L'aspect formel est crucial dans cette œuvre : la mise en scène, les cadrages sont parfaits, les décors apportent une vraie profondeur (...) La vraie difficulté n'était pas de transposer l'histoire en France, mais de restituer au mieux cette dimension esthétique dans le film".
L'auteur du manga explique combien le passage du manga à l'écran lui a offert un nouveau regard sur son œuvre: "La présence des acteurs est une chose difficilement égalable dans un manga. Je dirais que c’est du « rythme réel ». C’est ce réalisme qui permet au spectateur de se glisser aussi facilement dans la peau des personnages du film. Et puis il y a la musique, qui est un moyen extraordinaire d'exprimer les sentiments des personnages d'une manière plus intense et plus complexe".. Outre cela il évoque le fait que Sam Garbarski ait su donner une vision "plus esthétique" du manga en mettant l'accent sur les décors et les costumes notamment. Il a également été séduit par le paysage naturel, les contreforts alpins, qui donnent une dimension aérienne et lyrique au film puisque le réalisateur s'attarde souvent sur des détails tels qu'un vol de papillon ou un coin de ciel, des plans qu'il se plaît à nommer "les plans Tanigushi" qui rappellent l'esthétique japonaise du "mâ", ces moments de temps suspendu où rien ne semble se passer.
Le réalisateur a décidé de faire de son personnage principal un dessinateur. On le voit donc griffonner et crayonner en cours de mathématiques ou chez lui des silhouettes qui ressemblent étrangement aux personnages croqués par Jiro Taniguchi. Une mise en abyme judicieuse qui permet au cinéaste de faire un clin-d'œil à celui qui l'a influencé. Par ailleurs ce détail a son importance d'un point de vue dramatique, puisqu'elle a permis au cinéaste de "boucler la possibilité que peut-être cette histoire s'est uniquement passée dans la tête du personnage".
Le groupe Air, remarqué pour les bandes originales des films de Sofia Coppola, Lost in Translation et Virgin suicides, a réalisé la bande originale de Quartier Lointain. Le groupe français d'éléctro pop a immédiatement accepté la proposition du réalisateur, puisqu'il voue un culte au manga de Jiro Taniguchi. Sam Garbarski se souvient: "J'avais lu la BD en écoutant Air. Taniguchi lui-même a tous ses disques, Air aime beaucoup cet auteur et, avant chaque scène, je faisais écouter la musique du groupe aux acteurs et aux techniciens.". Le résultat est bluffant, le groupe signe des mélodies vaporeuses aux accents japonisants qui sonnent comme un hommage à l'auteur de mangas.