La collaboration entre Henry King et Tyrone Power aura été l’une des plus fructueuses de l’âge d’or d’Hollywood à l’image de celles entre John Ford et John Wayne, Michael Curtiz et Errol Flynn ou encore celle entre John Huston et Humphrey Bogart. Exclusivement sous l’égide de la 20th Century Fox, elle se sera étendue sur vingt ans et onze films. Les films en costumes y auront été majoritaires, Tyrone Power ayant été dès ses débuts employé pour faire concurrence au bondissant Errol Flynn, sous contrat à la Warner. « Echec à Borgia » , huitième de la série est sans doute l’un des plus intéressant du duo. En 1948, la Fox acquière les droits d’une nouvelle de Samuel Shellabarger (« Prince of foxes »), best seller de 1947. Deux ans auparavant, une autre nouvelle de Shellabarger, spécialisé dans le roman historique avait déjà été adaptée pour donner « Le capitaine de Castille » du même Henry King avec déjà Tyrone Power dans le rôle principal. Le film avait été salué par la critique notamment pour la flamboyance de sa mise en scène et de son Technicolor. Mais son budget imposant ne lui avait pas permis de rentrer dans ses frais. Sans doute pour cette raison, «Echec à Borgia » sera tourné en noir et blanc et en extérieurs sans que cela ne nuise en aucune façon à sa qualité. De son côté, Tyrone Power aborde un virage dans sa carrière. Descendant d’une lignée d’acteurs de théâtre anglais dont son père Tyrone Power Sr .(qui a joué sous la direction d’Henry King en 1923), l’acteur a pour ambition depuis le début de sa carrière d’aborder des rôles plus complexes où son physique avantageux ne sera pas systématiquement mis en avant. C’est dans cet état d’esprit qu’il a contraint en 1947, Darryl Zanuck à accepter de le voir tourner « Le charlatan » sous la direction d’Edmund Goulding, film sombre narrant la déchéance d’un bonimenteur de foire sans scrupule. Conséquence possible de sa frustration, alors qu’il n’a que 35 ans ,le visage d’ange de Tyrone Power qui a fait sa réputation commence imperceptiblement à accuser les assauts d’une vie dissolue menée sur les hauteurs d’Hollywood. Dans le rôle d’Andrea Orsini, aventurier à la main du redoutable Cesare Borgia, prince italien assoiffé de pouvoir ayant servi de référence à Machiavel pour la rédaction du « Prince », il tient la dragée haute à Orson Welles qui incarne avec toute l’onctuosité perfide requise celui qui entendait mettre toute l’Italie à ses pieds en commençant par la région de Romagne.
Orsini, petit brigand sorti du ruisseau rongé par l’ambition usant et abusant de son charme et de son entregent, finira par se repentir en tombant admiratif devant la rectitude du Comte Verano (Felix Aylmer) et de sa fille Camilla (Wenda Hendrix) que Borgia l’a chargé de destituer. Tyrone Power porte désormais en lui tous les ingrédients lui permettant d’incarner avec subtilité les deux faces du personnage
. On suit donc avec intérêt cet entrelacs d’intrigues qui nous rappelle que la politique ressemble à une partie d’échecs aux règles très élastiques. On se délecte aussi des apparitions facétieuses d’un Orson Welles en très grande forme, très bien secondé dans le registre de la rouerie espiègle par Everett Sloane qui incarne un traître de premier choix. Le tout est très solidement orchestré par Henry King qui tire le meilleur parti du noir et blanc imposé par la production tout comme des décors extérieurs de la petite république de Saint Marin. Le film qui joue essentiellement sur les ressorts psychologiques des personnages n’oublie pas pour autant de fournir ses moments de bravoure et d’action. Un mélange délicieux qui fait d’ « Echec à Borgia » un travail de très haute tenue à réévaluer dans les très denses filmographies d’Henry King et de Tyrone Power.