Il est toujours difficile d'adapter au cinéma un bon livre ; il l'est encore plus de porter à l'écran un classique de la littérature jeunesse, vu que ceux-ci portent souvent déjà en eux un univers original très riche. L'exemple en la matière est "Charlie et la Chocolaterie", où Tim Burton a su mettre son propre talent de créateur au service de l'oeuvre de Roald Dahl. Prenons un autre exemple : la transposition à l'écran des aventures du héros gaulois le plus célèbre, avec des résultats aussi différents entre "Mission Cléopâtre", très réussi, et "Astérix aux Jeux Olympiques", nullissime.
Dans le cas qui nous occupe, il y avait une difficulté supplémentaire : Le Petit Nicolas ne se réduit pas au texte d'Albert Goscinny, et l'adaptation devait aussi prendre en compte le dessin de Sempé, mélange d'épure et de soin du détail, que l'excellent générique fait de papiers animés rappelle au souvenir du spectateur. Résultat : trop de détails tue le détail. En effet, la reconstitution minutieuse, avec table en formica, 404 rutilante et culottes courtes finit par tout affadir, à la différence du "Fabuleux Destin d'Amelie Poulain" où Genet avait su isoler plastiquement tel ou tel élément signifiant.
Ici, le soin accordé aux costumes, aux décors et aux accessoires donne l'impression d'effeuiller une collection de cartes postales à la Robert Doisneau, mais il manque l'essentiel, le ressort comique du texte de Goscinny basé sur le décalage entre la naïveté des commentaires de Nicolas et la compréhension de la réalité que le lecteur déduit de ceux-ci. Dans le film, il y a bien la voix off de Nicolas, mais elle se contente d'adjoindre l'adjectif chouette à tout bout de champ, et ce fameux décalage se voit d'autant plus estompé qu'il est lourdement souligné par ce qui est donné à voir, et non par ce que le spectateur aurait à imaginer.
Le texte de Roald Dahl aussi bien que celui de Goscinny étaient le reflet d'une époque ; Burton a fait le choix de rendre son récit intemporel, en créant un univers plastique qui emprunte à différentes époques. Laurent Tirard au contraire a choisi de restituer la France des années gaullo-pompidoliennes, en prenant le risque de souligner encore d'avantage son échec à donner de la modernité à un récit forcément daté.
Les scènes les plus réussies, hélas furtives, sont celles qui s'inscrivent dans un registre purement visuel, comme les baffes que se prend Agnan chaque fois qu'il enlève ses lunettes à la visite médicale, la substitution texaverienne des raviolis du petit par le homard honni par M. Moucheboume ou l'arrivée de la 4004 dans la forêt sur une musique à la Danny Elfman. Mais ces bonnes idées à la limite du burlesque ne durent pas, ou au contraire perdent leur efficacité à force d'être diluées.
Il en est du Petit Nicolas comme de Tintin : ce sont deux éléments neutres qui servent de révélateur aux personnages qui les entourent, ici essentiellement les copains de classe. Malheureusement, les enfants-acteurs ont bien du mal à donner vie à un texte très écrit, et les adultes se retrouvent bien enfermés dans leurs personnages, à la notable exception d'Anémone et de Michel Galabru.
En voyant la scène de Clotaire regardant l'aiguille de la pendule de la cour, on ne peut s'empêcher de penser à la scène qui l'a inspirée dans "L'Argent de Poche", et la comparaison est impitoyable. La référence à Truffaut, outre la citation du gamin qui déchire les pages de son cahier taché d'encre, rappelle la concomitance de la sortie des "400 Coups" et de la publication de la première histoire du Petit Nicolas dans Sud-Ouest en 1959.
Alors que le film de Truffaut était une projection de vitalité juvénile tournée vers l'avenir, le "Petit Nicolas" de Laurent Tirard fait effet de retour en arrière, de nouvel avatar de la qualité française ronronnante dénoncée par la Nouvelle Vague ; c'est toute la différence entre un film d'auteur et un produit destiné à plaire au plus grand nombre, en évitant bien tout ce qui pourrait dépasser.
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