La réalisatrice Simone Bitton définit son film comme une "enquête cinématographique sur la mort d'une jeune fille, écrasée par un engin militaire dans un pays malade". "Cette jeune fille était américaine, l'engin était un bulldozer israélien, et le pays, c'est la Palestine et Israël, confie la cinéaste. Un lieu dont je ne cesse, film après film, de documenter le malheur et parfois la beauté. Mon enquête est rigoureuse. Comme l'affaire n'a jamais été jugée, je joue un peu le rôle d'un juge d'instruction, je " cuisine " les témoins, je relis les dépositions, j'examine les pièces à conviction, etc. Je détricote une montagne de versions et je laisse la vérité affleurer d'elle-même, sans commentaire. Cette rigueur est essentielle, car elle me permet d'aller plus loin, de transcender le sujet. Au cinéma, le résultat de l'enquête compte moins que le fait même d'enquêter. Il s'agit de filmer et d'observer des lieux, des gens, des objets ; de recueillir des paroles, des gestes et des silences. De faire jaillir l'émotion des matières les plus froides et les plus dures, comme les images d'une caméra de surveillance ou le métal lisse d'une table d'autopsie."
Simone Bitton a fait le choix de montrer à plusieurs reprises le corps disloqué de Rachel dans son film. "Mon travail n'aurait eu aucun sens si j'avais détourné les yeux de cette image, explique la réalisatrice. Mais il fallait aussi partager la gêne éprouvée à me l'approprier, exprimer la réflexion qui m'a permis de le faire. Le jeune homme qui a pris l'une de ces photos dit qu'il s'en est senti coupable, qu'il est conscient de la part d'obscénité qu'elle recèle. Mais il l'a prise, car il fallait des preuves. Il dit aussi qu'il regrette de ne pas avoir eu une caméra vidéo, que la présence d'une caméra aurait peut-être eu le pouvoir d'empêcher la mort de son amie. Aujourd'hui, il y a des caméras presque partout. Les manifestants et les militants dans les zones de conflit savent que l'image de leur cadavre sera médiatisée s'ils sont tués ; non seulement ils ne s'y opposent pas, mais cela fait partie de leur démarche. Je crois donc, très sincèrement, que Rachel m'aurait permis d'utiliser ces images ; sa famille en tout cas n'y apas vu d'inconvénient."
Ce travail d'enquête a duré environ trois ans et a représenté pour la réalisatrice de nombreux allers-retours entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël. Simone Bitton a notamment dû se montrer très opiniâtre avec les services de presse de l'armée israélienne. "Ces militaires sont serviables et efficaces, lorsque vous vous intéressez à quelque chose dont ils veulent parler, mais lorsque vous arrivez avec un sujet qui leur déplaît ils sont très forts pour vous mettre des bâtons dans les roues, confie la cinéaste. Je les ai tellement harcelés que finalement, pour se débarrasser de moi, ils m'ont accordé trente minutes d'entretien avec le Major Avital Leibovitch, qui est la propagandiste en chef de l'armée israélienne pour la presse étrangère."
Rachel a été présenté dans la sélection Forum du 59ème Festival de Berlin et au Festival Cinéma du Réel 2009.
Née au Maroc en 1955, Simone Bitton a vécu à Rabat, à Jérusalem et à Paris. Rachel est son second long métrage produit pour le cinéma, après Mur, voyage cinématographique le long du chantier de la barrière deséparation Israël / Palestine sorti en 2004. Elle a également réalisé de nombreux films (Palestine, histoire d'une terre, Mahmoud Darwich, L'Attentat...) et séries documentaires pour la télévision, qui constituent un ensemble de références essentielles pour une meilleure appréhension de l'actualité, de l'histoire et des cultures d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.