En une semaine, premier film mongol, et premier film thaïlandais au palmarés des Critiques Clunysiennes ! Je me souvenais bien d'avoir déjà vu un film thaï avant d'avoir commencer à rédiger mes critiques, le kitchissime "Les larmes du Tigre noir", de Wisit Sasanatieng, et en me le remémorant, je m'attendais donc à quelque chose d'assez dépaysant et d'un peu rococo en allant voir ce "Ploy".
Côté dépaysement, pas grand chose à se mettre sous la dent, puisque l'action se passe presque exclusivement à huis clos dans un de ces hôtels haut de gamme aux standards internationaux, ressemblant aussi bien à celui de Tokyo dans "Lost in Translation", celui de Manille dans "John John", ou celui de Seoul dans "A Bittersweet Life", et dont on ne voit que la (les) chambre(s), le bar et les couloirs. Même les personnages sont internationaux : Wit et Deng vivent depuis dix ans aux Etats-Unis, et la mère de Ploy habite à Stockholm ("Ah oui, en Allemagne" "Non, en Suède").
L'histoire aussi est universelle : perturbés par un deuil (ils reviennent à Bangkok pour des funérailles) et par le décalage horaire, un homme et une femme s'interrogent sur la date de péremption de leur couple, troublés par l'irruption d'une jeune fille qui est elle même troublée par un rêve érotique. Point de paternel à venger, de pergola au bord d'un étang où fleurissent des lotus, d'histoire d'amour entre la fille du gouverneur et un bûcheron comme dans "Les Larmes du Tigre noir", mais une histoire sous hypnose ou sous jet lag, plus proche de David Lynch que du baroque du cinéma thaïlandais des années 60.
La scène de la rencontre de Wit et Ploy est superbe : filmée souvent de loin, au travers des chaises empilées ou entre deux banquettes vides, sous la lumière blafarde des néons, elle rend l'apparition de la jeune fille (jouée par Apinya Sakuljaroensuk qui avait 16 ans au moment du tournage) comme en apesanteur, avec sa dégaine si peu asiatique, yeux ronds et coiffure afro. Elle lui demande du feu, puis une cigarette ; elle lui fait écouter la musique sur son MP3, on entend la chanson comme si nous avions les écouteurs, puis sans changement de plan, la prise de son devient externe, et on n'entend que le grésillement de la chanson.
Ce dosage précis dans le rythme narratif qui soutenait cette première scène s'évapore malheureusement dès que Wit et Ploy montent dans la chambre. Pen-ek Ratanaruang choisit alors de laisser durer les scènes, sans doute pour suggérer l'étirement du temps entre rêve éveillé et sommeil, mais si certaines scènes sucitent un réel trouble, la plupart sont répétitives et sans surprise. Il réussit cependant à distiller des bribes d'information par des détails saisis au vol : un paquet de cigarette froissé sur un lit, un numéro de téléphone sur un papier, un visage déformé par le verre dépoli de la douche.
Evoquant pêle-mêle "Mullolhand Drive", "Lost in Translation" et "Eyes Wide Shut", "Ploy" souffre sans doute d'un scénario qui s'est planté au milieu du gué, entre onirisme et tentatives d'explication (le couple de la femme de chambre et du barman dans la chambre est-il rêvé ?), et on se passerait des évènements bien réels de la fin pour rester dans la tonalité fantastique-soft qui baigne le huis-clos de la chambre. Mais la virtuosité à filmer les corps, le sens du détail et la capacité à modifier la perception par la musique, la photographie et le cadrage font de "Ploy" une oeuvre singulière et de Pen-ek Ratanaruang un réalisateur très intéressant à suivre.
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