Le plan d'ouverture se compose d'un lent panoramique partant des gratte-ciels de Manille, puis s'arrête sur un plan fixe tremblotant sur le ciel bleu pendant que défile le générique, puis un panoramique vertical dévoile le bidonville où vit la famille d'accueil de John John. Cette première scène résume un des aspects essentiels du film : la violence de l'opposition entre la très grande richesse de la nouvelle ville et la très grande pauvreté des quartiers où vivent John John et sa famille adoptive.
En effet, aux Philippines, les services sociaux préfèrent confier les enfants à des nourrices de ces quartiers, car là elles savent qu'elles peuvent compter sur des vies de familles qu'elles ne trouvent plus dans les quartiers aisées où les deux parents travaillent. Pourtant, ce qui frappe d'emblée dans "John John", c'est l'absence de misérabilisme. Dans l'enchevêtrement de leur masure, Thelma et les siens ont su aménager une vraie maison, avec télé, photos de famille et rideaux ; même si la douche se fait dans une bassine, tout le monde porte du linge propre, mange à sa faim, et peut compter sur la solidarité des voisins.
Brillante Mendoza se dit très influencé par le cinéma-vérité : "Je souhaitais que la caméra adopte le point de vue d'une personne étrangère aux évènement qui se déroulent, comme s'il s'agissait d'un observateur extérieur." Il filme donc en longs plans séquences, à la suite de ses personnages dans le dédale des ruelles du bidonville, un peu comme Naomi Kawase dans "Shara". La caméra portée se glisse dans le peu d'espace, avec une alternance de plans rapprochés et de plans d'ensemble. Le parti pris de captation de cette exiguité est à l'opposé de celui de Wong Kar Wai dans les couloirs de Mr Koo : pas de montage interne, pas de savants découpages de l'image, mais une volonté de subir cet environnement, quitte à ce que l'image soit brutalement surexposée quand le personnage émerge du labyrinthe.
Pas ou presque pas de musique, un son pris à la volée pour renforcer l'impression documentaire. Ce dépouillement un peu trop systématique peut lasser, comme cette séquence où le fils de Thelma prépare à manger, sans aucune ellipse, de l'ouverture malhabile de la boîte de conserve jusqu'à la cuisson des pâtes. Cette façon de filmer dans la continuité s'avère plus intéressante quand Thelma et Bianca l'assistante sociale arrivent dans les couloirs de l'hôtel de luxe où résident les parents adoptifs. Brillante Mendoza n'avait pas expliqué à l'actrice qui jouait Thelma où elle devait aller, et ses déplacements réellement erratiques soulignent le choc que représente pour elle un tel étalage de richesse, choc qui atteindra son paroxysme dans la scène de la douche.
Plein de tendresse pour ses personnages, "John John" ne juge pas, ne professe aucune doctrine ; il met en scène des gens positifs, tant du côté des nourrices et de leurs encadrantes que du côté des adoptants, même si ceux-ci sont un peu maladroits dans leur jovialité. Il réussit simplement à rendre crédible l'émotion de Thelma, sans recourir au pathos ni aux facilités de mise en scène. Malgré ses longueurs et quelques digressions inutiles, ce film très réfléchi nous permet d'espérer un retour du cinéma phlippin absent des écrans occidentaux depuis la disparition de Lino Brocka.
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