Michael Mann est un des plus grands metteurs en scène encore en activité aux Etats-Unis. Il a construit une filmographie de très qualité, et (c’est plus rare) d’une très grande constance. Il a une capacité inégalée de rassembler les qualités des films grands publics tout en conservant les exigences du film d’auteur. Heat est probablement la plus illustre de ces productions : une trame classique et un scénario très accessible d’un côté, une mise en scène sans compromis dans la forme et dans la longueur de l’autre. Le plus surprenant, c’est que le réalisateur parvienne encore à trouver des dizaines de millions de dollars pour tourner des films qui ressemblent à des blockbusters, qui sont vendus comme des blockbusters, mais qui ne sont définitivement pas des blockbusters. A l’image de Miami Vice, son prédécesseur, Public Ennemies est en fait un vrai film d’auteur. Un film exigeant, froid, presque hermétique au premier abord. Le charme ne se livre pas instantanément, il faut de la patience et de la confiance pour en prendre la pleine mesure. Mais au bout du compte, on n’est pas déçu du voyage.
John Dillinger est un hors la loi charismatique et décalé, une sorte de Robin des Bois des années 30. Avec sa bande, ils énervent suffisamment les autorités pour que le FBI naissant le déclare ennemi public n°1 et lance à ses trousses une équipe spéciale. L’agent Melvin Purbis mène la chasse à l’homme. Dans sa trame, le scénario rappelle Heat avec le jeu du chat et de la souris, les hold-up, les fusillades. De nombreux mimétismes sont présents, presque des clins d’œil, du prologue en scène d’action qui dégénère à la préparation détendue des casses, en passant par le montage sonore très brute des fusillades. Et comme d’habitude, le réalisateur prend son temps : le début du film est assez long, parfois presque frustrant, mais c’est pour mieux accélérer ensuite le rythme au fur et à mesure que la chute inévitable de Dilligner se profile. Comme l'énnonce le héros dans le film, les personnages ne sont pas ici définis par leur origine, leur rang ou leur titre. Ils sont juste la somme de leur action, et ce sont bien leurs actes qui parlent pour eux. D'où des personnages qui peuvent paraître lisses au premier abord, mais c'est pour ne pas détourner l'attention de l'histoire, et de la fuite progressive de ces pesonnages vers la fin.Et c’est dans cette fuite en avant que le film donne son vrai potentiel, servi à la fois par des acteurs très en forme (Si on attend toujours le top de Johnny Depp, Marion Cottilard est également très bien), et évidemment une mise en scène exceptionnelle.
Depuis quelques films, Mann utilise une caméra HD assez particulière : le grain de l’image est froid, distant, pas forcément désagréable mais il faut s’y habituer. Cependant, elle permet au réalisateur d’avoir une liberté totale à la fois dans la profondeur de champ, le jeu des couleurs et les mouvements de caméra. Et de fait, le film est encore uneclaque en matière de réalisation : que ce soit dans les séquences d’action ou les scènes de dialogues, tous les plans sont calculés au millimètre pour être d’une beauté et d’une classe inégalable. En réutilisant les plans larges du western, le montage sonore frénétique des polars urbains, les décors du film noir américain, Michael Mann nous offre un mélange inédit et détonnant. Pas un plan, pas une image qui ne soit pas pensée et réfléchie. Le réalisateur donne la pleine mesure de son talent, en allant crescendo au fur et à mesure que l’intrigue avance, avant une dernière heure absolument exceptionnelle qui emporte tout sur son passage : une fusillade d’anthologie dans un hôtel de campagne, un passage complètement dingue de Dillinger dans les locaux du FBI, et une scène finale lente, nostalgique, violente, nonchalante, parfaite.
Il y a plus d’idées et de talent dans ce film que dans tous les blockbusters de l’année réunis. Un film sublime.