"Interview" est un remake du film éponyme tourné en 2003 par Theo Van Gogh, le cinéaste hollandais assassiné en 2004 par un islamiste radical. Il s'agit d'ailleurs d'un élément d'une trilogie baptisé "Triple Theo", puisque le producteur néerlandais Gijs van de Westelak a aussi demandé à Stanley Tucci de réaliser le remake américain de "Blind Date" et à Bob Balaban celui de "06". Cette origine est visible à l'écran, le chauffeur venant emplafonner son taxi dans une camionnette "Van Gogh" et la mère de Katya est originaire d'Amsterdam ("La ville où la prostitution est légale", relève Pierre) ; bien plus, Steve Buscemi a repris le procédé original, à savoir un tournage à trois caméras permettant de tourner 20 pages de script par jour, et donnant souvent une impression de jeu plus théâtral que cinématographique.
Sur un sujet en apparence très proche de celui de "Delirious" (la rencontre d'une starlette et de quelqu'un de complètement étranger à son univers), dans lequel il jouait aussi, Steve Buscemi a réalisé un film très différent ; on est beaucoup plus proche de "Garde à Vue", d'autant plus que le huis clos s'évade très vite du restaurant du rendez-vous initial pour se prolonger dans un loft ressemblant beaucoup au commissariat de Cherbourg où s'affrontaient Gallien et Martinaud. Car très vite l'interview se transforme en affrontement, et les clichés du départ se brouillent : le globe-trotter intègre mais revenu de tout dévoile des failles inquiétantes au fur et à mesure qu'il s'alcoolise, alors que la dinde écervelée, siliconée et cocaïnomane montre plus de profondeur et de pugnacité que son image de blonde de papier glacé ne le laissait prévoir.
Seulement voilà, le scénario d'"Interview" n'a pas la finesse de celui de Miller et Audiard, et les situations prévisibles (Katya qui pousse Peter à lui sauter dessus, ou Peter dévoilant une balafre de 30 cm trois minutes après que Katya lui ai dit que ce qu'elle trouvait séduisant chez un homme, c'était ses cicatrices) succèdent aux dialogues affligeants de banalité ("Vous vous mentez surtout à vous-même", "Je veux savoir ce qui vous hante, parce que je suis hanté aussi"). On retrouve en supplément les thèmes psychologisants chers au cinéma américain, comme la recherche du père ou la culpabilité vis-à-vis du frère que l'on pense avoir trahi.
Le tout semble écrit par un dialoguiste bipolaire, les deux personnages passant sans l'ombre d'une transition de l'empathie douceureuse à la convulsion haineuse ; même si ce cyclothymisme trouve son explication à la fin, il est pénible à supporter tant il sonne faux, et se sentiment de gêne est renforcé par une volonté de diversifier l'occupation de l'espace qui amène la pauvre Sienna Miller à devoir jouer dans toutes les positions, assise sur la table, vautrée sur son lit ou effondrée dans un hamac, et par la consommation compulsive de Bourbon, de Bordeaux, de Tylenol et de coke auquels sont soumis les personnages.
Steve Buscemi le roublard a poussé le mimétisme vis-à-vis de son modèle hollandais qui avait choisi la star nationale Katja Schuurman : lui a embauché Sienna Miller, plus connue pour son rôle réelle de régulière de Jude Law cocufiée par la nonou de ses enfants que pour la qualité de sa filmographie. Force est pourtant de constater qu'elle se sort franchement bien de ce rôle difficile parce qu'excessif, et qu'à l'instar de son personnage, elle finit par damner le pion à son partenaire/adversaire. Je n'ai pas vu le film de Van Gogh, et je ne connais donc pas le degré de fidélité de Buscemi au scénario original. Quoiqu'il en soit, l'"Interview" donné à voir ne parvient pas à faire oublier les situations artificielles du scénario, malgré une énergie évidente dans la réalisation et un jeu des acteurs souvent touchant.
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