A travers une histoire d'amitié prise dans la spirale de la crise qui agit comme un broyeur, le film tente d'éclairer les contradictions et les archaïsmes d'une société à la fois enracinée dans son époque et attachée à ses croyances et à ses traditions. D'où la référence à l'héritage de tolérance symbolisé ici par le rituel d'El Manara (le phare), qui célèbre chaque année la naissance du Prophète dans la ville de Cherchell. Une fête populaire jugée hérétique par les fondamentalistes.
Avec un petit budget de 35 millions de dinars algériens (350 000 euros), El Manara, qui compte parmi les rares films d'initiative algérienne des cinq dernières années, a été tourné en DV. Projeté en avant-première le 30 octobre 2004 à Alger, sélectionné au Caire, en compétition officielle à Carthage, primé au Fespaco 2005, ce long métrage est sorti sur les écrans d'Alger, Tizi Ouzou, Béjaïa, Annaba et Constantine.
El Manara revient sur une époque sombre de l'Algérie, restituant toute la complexité des rapports et des engrenages qui ont amené aux émeutes d'octobre 1988, à la répression qui fit plusieurs centaines de morts, à l'ouverture démocratique, à la dérive islamiste et à l'irruption d'une violence sans nom qui fit plus de 150 000 morts et des milliers de disparus.
Le scénario plonge au coeur de la tourmente avec un souci de réalisme qui a guidé toute la mise en scène de Belkacem Hadjadj. Le réalisateur s'en explique : "Quand j'ai eu le désir de faire un film consacré à cette période dramatique, j'ai fait en sorte d'être au plus près de ce qui s'est réellement passé. Il y a donc, d'un côté, ce qui relève de la fiction, à savoir la trajectoire et les rapports entre les trois personnages principaux. Mais l'histoire proprement dite est ancrée à des moments historiques précis et signifiants. On a fait se télescoper les personnages inventés avec les événements qui ont réellement eu lieu. On souhaitait, avec le scénariste Salim Aïssa, que le film ait également une portée didactique et pédagogique, notamment pour la jeune génération qui n'a pas eu à connaître ces tragiques événements et qui risque, à son tour, aujourd'hui encore, de connaître la même dérive et les mêmes manipulations."
N'ayant malheureusement pas de relève en Algérie, Belkacem Hadjadj n'a pas trouvé ce qu'il cherchait en termes de casting classique. Il a donc prospecté pendant trois mois pour trouver les acteurs de son film. Et durant les deux mois qui ont précédé le tournage, il a travaillé avec eux en atelier afin de les préparer au mieux. "Le hasard a fait que l'un d'eux, Fawzy dans le film, se trouve être le fils du dramaturge Slimane Banaïssa, confie-t-il. Quant à l'interprète d'Asma, elle est la fille du comédien Sid Ahmed Agoumi. Mais je ne l'ai su qu'après..."
Pour Belkacem Hadjadj, le vrai héros du film est Ramdane. Il raconte : "On ne peut qu'être respectueux devant sa soif d'idéal, d'absolu et de justice. Et ce n'est pas un hasard si, professionnellement, il a choisi de devenir médecin. C'est-à-dire celui qui aide, qui soulage, qui soigne. Et l'on montre comment un personnage pareil va, de manière progressive, mettre le doigt dans l'engrenage de la secte des "fous de Dieu", un engrenage qui va l'amener jusqu'à se transformer lui-même en un monstre inquisiteur."
Né en 1950 à Alger, Belkacem Hadjadj vit à Bruxelles depuis de nombreuses années. Il étudie le cinéma à l'INSAS, d'où il sort diplômé en 1977, et travaille pour la Radio Télévision Belge (RTB) jusqu'en 1978, puis pour la Radio Télévision Algérienne (RTA) de 1978 à 1987. Enseignant de 1985 à 1991 le cinéma à l'Institut National des Sciences de l'Information et de la Communication (INSIC) d'Alger, il est l'auteur de quelques documentaires (Une femme taxi à Bel Abbes, Arc-en-ciel écarlate...) et téléfilms (Le Bouchon, La Goutte, El Khamssa...).