Quel beau personnage que Céline...naïve, touchante, à fond dans son trip, et toujours le visage illuminé par une certaine grâce. Il y a quelque chose de formidable qui se produit dans Hadewijch : le film adopte une mise en scène aussi pure que l'est son personnage principal. Il y a quelque chose qui coule d'une scène à l'autre, un mouvement d'une parfaite fluidité qui traverse tout le film. On dirait du Bresson sans l'austérité, dans la manière qu'a Dumont de capter précisément une émotion ou un geste et d'en extraire toute l'essence. Cela n'est pas qu'une affaire de forme, mais aussi de dialogues et d'acteurs, d'une fantastique justesse. C'est très surprenant de constater comment un certain réalisme produit autant de matière spirituelle, comment l'authenticité des situations - le visible - déclenche la pureté la plus totale - l'invisible donc.
Céline donc, ou Hadewijch. La dernière fois que j'ai vu un personnage féminin aussi pur c'était Grace de Dogville ( qui porte bien son prénom, qui aurait très bien pu être celui de Céline ). Ca n'est sûrement pas un hasard, Céline apparaissant comme un personnage typique de l'univers de Lars Von Trier. Il y a une innocence en elle, qui pour moi naît de son amour éperdu pour la religion, de cette chose qu'elle ne peut contrôler, et qui échappe à la raison. Dumont est loin d'insister sur un tel point, mais on peut penser que le jeune âge du personnage est aussi ce qui provoque sa perte. Le film n'évoque jamais ce point précis, mais on peut penser que si elle manque de repères et si elle est aussi naïve ( pour ne pas dire un peu c*nne ), c'est également par manque d'expérience. " Par jeunesse ". Il n'en reste pas moins vrai qu'une grâce émane donc du personnage, peu importe de quoi elle provient finalement. Et comment le spectateur ne peut-il pas - malgré le jusqu'au-boutisme dérangé du personnage - être en empathie avec elle ? Comment ne pas avoir envie de la protéger, de lui parler, de détourner ses yeux du Ciel pour la ramener sur terre ? Il faut une sacrée actrice ( sans jeu de mots ) pour parvenir à une telle symbiose entre l'innocence et une certaine forme de perversité, pour atteindre une telle harmonie d'une interprétation tout en fragilité et en puissance physique et mentale.
Et cette grâce cache un revers moins agréable puisque la radicalité nous dit Dumont, est irrationnelle. L'extrémisme religieux - chrétien, musulman, autre - a ceci d'effrayant que ceux qui le pratiquent sont persuadés de la bonne foi de leur mission. L'amour rend aveugle...par ailleurs, et c'est le seul reproche que je fais à Hadewijch, l'écriture elliptique pose problème : les espaces laissés par le récit sont-ils une manière de commenter la psychologie des personnages ( on n'explique pas puisqu'il n'y a rien à expliquer ), ou bien le signe d'une maladresse, une incapacité qu'a l'auteur à respecter ses personnages et leur cheminement ? ( on ne comprend pas toujours les motivations, ça crée un manque ). On peut penser que les deux réponses sont acceptables, voire qu'elles s'entremêlent, mais je privilégie la dernière.
L'amour rend aveugle donc, mais le spectateur lui peut voir, heureusement, comment Dumont fait apparaître la grâce à l'écran et d'une manière générale la matière invisible que le cinéma sait si bien rendre.
Grand film, porté par une Julie Sokolowski d'une effarante beauté et d'une grâce perpétuelle.