Les hommes s’accouplent et les animaux copulent, les hommes se battent et les animaux s’entredévorent, les hommes errent et les animaux aussi. Ce jeu constant entre l’être humain et la bête par le biais de la mise en scène inscrit le savoir-vivre et le savoir-faire d’un village dans un ordre naturel des choses, place une tradition ancestrale à l’apparence barbare – du moins l’est-elle pour nous occidentaux – dans une logique sacrée capable de renverser notre point de vue, de bouleverser notre sensibilité. Imamura chante la cohésion et le respect loin de la foule urbaine déchaînée, fait de l’homme un ensemble organique proche de l’animalité toutefois guidé par une spiritualité, ce dieu de la montagne qui exige le don de soi. L’air que nous respirons est ainsi gorgé d’honneur et d’estime ; il est question du renom de la famille, d’un père parti à jamais maudit suite à l’affront qu’il fit subir aux siens, d’un fils à marier pour la bonne tenue de la maison. Nous venons du ciel, arpentons les paysages enneigés pour se plonger dans un quotidien qui nous est étranger mais présenté sans mépris aucun, puis quittons le village depuis les mêmes hauteurs. La Ballade de Narayama se fait en chansons, souvent grivoises, parfois mélancoliques, elle est ballade et balade, dépeint le chemin pénitentiel d’une femme, et plus largement d’une culture, que le monde moderne ne tardera pas d’effacer. Les jeunes sont turbulents, les adultes peinent à nourrir tout le monde, les plus vieux apparaissent tels des sages bientôt rattachés à leur nature originelle. Tout est dans l’ordre des choses. À l’image de cet oiseau blessé que le fils recueille et lance en direction du ciel, lui offrant ainsi l’occasion de son envol, Imamura redonne vie, le temps de son film, à une simplicité première et perdue, à un art de vivre et d’approcher la mort sans artifices, en seule communion avec soi-même.