La Liste de Carla a été projeté au 59e Festival de Locarno en 2006. Native de Lugano (non loin de Locarno...), Carla Del Ponte était présente lors de la conférence de presse.
Originaire du Tessin (la Suisse italophone), Carla Del Ponte, licenciée en droit, ouvre une étude d'avocats en 1975 avant de devenir juge d'instruction en 1981. Nommée procureur du canton du Tessin en 1985, elle y oeuvre contre le crime organisé, le blanchiment d'argent sale et la délinquance financière, ce qui lui vaut de devenir la bête noire de Cosa Nostra. En devenant Procureur général de la Confédération en 1994, elle poursuit et étend sa lutte contre toutes les mafias. C'est en 1999 que le Conseil de Sécurité des Nations-Unies nomme cette femme obstinée procureur des Tribunaux spéciaux pour l'Ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR). Le TPIY a été institué en 1993 avec pour mandat de traduire en justice les individus présumés responsables de crimes de guerre en ex-Yougoslavie depuis 1991, et le TPIR a été mis en place un an plus tard. Côté africain, la volonté de Del Ponte d'enquêter sur les génocidaires hutus, mais aussi sur les responsables tutsis, suscite la colère du gouvernement de Kigali, et elle devra quitter son poste en 2003. Quant à son mandat à la tête du TPIY, il s'achève en septembre 2007.
Un des défis du film était de suivre le travail quotidien d'une femme qui est en permanence accompagnée par des gardes du corps et ne se déplace jamais seule. "Pour vous donner une idée de la difficulté du tournage dans son ensemble", précise Marcel Schüpbach, "le trajet ordinaire depuis chez elle - son domicile est tenu secret - jusqu'à son bureau du Tribunal pénal international pour l'ex- Yougoslavie, le TPI, change chaque jour. En fait sa vie privée est impénétrable, au sens littéral du terme, et tout doit être annoncé deux jours à l'avance pour des raisons de sécurité."
Le cinéaste revient sur le point de départ de son documentaire : "C'est une photo de Carla Del Ponte parue dans un magazine en avril 2005, à l'occasion d'une conférence qu'elle devait donner à l'Université de Lausanne. Elle est assise sur une chaise et elle nous regarde bien en face. Le déclic pour me lancer m'est venu là... Ce mélange de puissance et de solitude, il fallait le comprendre et peut-être, l'expliquer." Le tournage a pu débuter dès le 11 juilet 2005 (date anniversaire de Srebrenica) pour s'achever le 15 décembre de la même année (le jour du discours du procureur devant le Conseil de sécurité de l'ONU), l'équipe ayant tourné pendant une trentaine de jours.
Le cinéaste évoque la relation de confiance qui s'est instaurée entre Carla Del Ponte et son équipe : "Tout s'est noué dès la première rencontre à La Haye. Carla del Ponte voulait comprendre qui nous étions et ce que nous voulions faire, nous jauger en quelque sorte. Et nous, nous voulions savoir si notre film était tout simplement possible. Nous avions choisi le bon moment. 2005, c'est le dixième anniversaire de la tuerie de Srebrenica, et pour le TPI, une période cruciale, avec une exigence de résultats, et la nécessité que ses travaux soient compris et reconnus dans l'opinion publique. En tout cas, dès le lendemain déjà, sous la forme d'un document écrit, nous nous sommes liés par un accord de confidentialité... ce qui était filmable, ce qui ne l'était pas, ce qui ne devait pas sortir pour ne pas compromettre les enquêtes en cours.Dès lors l'équipe du procureur était libre de parler sans s'autocensurer devant la caméra. Cette clarté nous a donné une marge de manoeuvre exceptionnelle." Ajoutons qu'après avoir visionné le résultat, Carla Del Ponte n'a demandé aucune modification.
Le réalisateur Marcel Schüpbach estime que réaliser un portrait de Carla Del Ponte aurait été trop réducteur. Sa démarche est différente : "Ce qui m'intéressait au départ, c'était de suivre ces tentatives de rendre la justice... Comprendre comment ça marche... A quoi ça sert, vu de l'intérieur... L'obligation de résultats qui est celle du procureur, face à une réalité qui est encore beaucoup plus complexe qu'on peut l'imaginer, c'est la matière de ce documentaire (...) une double trajectoire, en quelque sorte, s'est imposée... D'abord, ces femmes rencontrées à Srebrenica, qui attendent que justice soit faite et qui ne pourront pas vivre à nouveau tant que les responsables des massacres ne seront pas au moins emprisonnés... Et puis, en contrepoint de la douleur immobile de ces femmes, cette autre femme qui court, Carla del Ponte, seule ou avec son équipe, pour faire avancer la justice malgré tout. La Liste de Carla, ce sont des passerelles jetées entre ces deux mondes. Des images entre ces questions terribles et les réponses qui leur sont données, que le TPI tente de leur donner."