D'origine suisse, débarqué en France à l'âge de 15 ans après avoir arrêté ses études, Barthélémy Grossmann suit le cours Florent pour devenir comédien. Quelques rôles dans des courts-métrages et à la télévision ne lui suffisent pas : il sait que, pour sortir de la masse des comédiens qui essayent de percer, il doit faire mieux que les autres. Il commence donc à écrire des pièces de théâtre puis réalise un court-métrage qu'il a lui-même écrit, Tôt ou tard. Pour trouver de l'argent, il s'improvise également producteur et quémande à gauche à droite - au boulanger du coin, à des proches. C'est de cette façon qu'il parvient à monter ses premiers films. 13 m² est son premier long-métrage.
Barthélémy Grossmann se reconnaît volontiers chez des cinéastes comme Welles, Cassavetes, Chaplin, Scorsese ou De Palma, en référence à leur côté "touche à tout". "On ne choisit pas de tout faire" confie-t-il. "Cela s'impose à toi. Et de la même manière, j'aimerais être un artiste complet." Par la force des choses, le jeune comédien endosse donc les casquettes d'auteur, producteur, réalisateur. Et acteur, puisqu'il tient le rôle principal de 13 m². Multiplier les tâches n'a rien d'obsessionnel, c'est plutôt une affaire de responsabilité : "Prendre les choses sur soi c'est pour moi une manière de progresser" s'explique-t-il. "Je suis au courant de tout et je suis du coup responsable de tout. Dire que c'est la faute d'un tel ou d'un autre, c'est la facilité".
Au départ du projet, c'est une ville, Montreuil, qui inspire Barthélémy Grossmann : "J'étais sur un autre projet et un jour, je me promenais avec Franck, à Montreuil. Et je me suis dit que c'était incroyable comme il devait être possible de se cacher dans cette ville. C'est ainsi que l'histoire a commencé. J'ai eu envie de faire un film depuis un point de départ très simple : trois potes après un braquage, ils ont deux millions d'euros, ils se planquent à Montreuil, ils s'enferment pendant trois semaines et à partir de là, qu'est-ce qu'il se passe? Et je voulais que l'on s'enferme pour de vrai, que l'on vive cette expérience comme une sorte d'atelier, un travail d'acteur... un projet expérimental, un ovni... Ensuite j'ai commencé à écrire le scénario." C'est ensuite sa rencontre, à Cannes, avec Murielle Thierrin qui lance véritablement le projet.
Trouver de l'argent pour financer 13 m² fut une vraie gageure pour Barthélémy Grossmann et sa co-produtrice, Murielle Thierrin : les démarches continuaient même après une journée de tournage difficile. La fin des prises de vues coïncida avec le début de nouveaux problèmes, car outre le financement, il fallut s'occuper de la distribution : "la post-prod a été un contrecoup", raconte le réalisateur, "nous nous sommes heurtés à une réalité à travers laquelle il n'était pas possible de passer. Nous devions entre autres trouver un diffuseur salle puis télé pour que le film existe."
Barthélémy Grossmann et Murielle Thierrin ont travaillé de concert pour que le film existe. Les deux compères se rencontrent à Cannes, alors que Barthélémy n'en est encore qu'à la première phase de l'écriture; Murielle lui propose d'en faire un long-métrage et l'aide à écrire les huit versions différentes du scénario. Pendant le tournage, ils se répartissent les tâches. Elle raconte : "Je m'occupais essentiellement de tout ce qui était logistique et administratif. Et Bart de tout ce qui était artistique. Et tout en haut, c'est-à-dire le poste de producteur, nous l'occupions tous les deux. Sur le tournage j'occupais celui de producteur exécutif... et de régisseur général car il fallait bien que quelqu'un s'en charge." L'omniprésence de Murielle à toutes les phases du projet a aussi apporté une vraie touche féminine.
Barthélémy Grossmann évoque son travail avec les comédiens : "J'estime qu'un bon metteur en scène doit prendre des cours d'art dramatique. Ne serait-ce que pour diriger les comédiens. Je ne parle pas aux acteurs en leur disant crie plus ou moins fort, sois un peu ça, un peu moins cela... Non. Je leur parle comme j'aimerais que l'on me parle (...) J'ai le désir d'une authenticité, d'une justesse. Et là-dessus, sur un plateau, je suis un véritable dictateur (...) Mais c'est important que les comédiens fassent des suggestions et ce fut souvent le cas sur le plateau."
13 m² fonctionne principalement à travers l'identification du spectateur aux personnages imaginés par Barthélémy Grossmann. Sous leur aspect rugueux et froid, les trois héros du film révèlent bientôt une innocence et une naïveté latentes : derrière leurs costumes de gros voyous, ils s'avèrent n'être que des amateurs en perdition. C'est cela qui facilite l'empathie du spectateur. "Autrement dit, si demain je fais un braquage, je ressemble à ces mecs-là (...) Et si on leur proposait d'appuyer sur un bouton et de faire marche arrière, ils accepteraient immédiatement. Parce qu'ils ne sont pas à la hauteur. Et je crois que la plupart des jeunes d'aujourd'hui seraient dans le même cas."
On pourrait voir en 13 m² un film de plus sur le malaise de la banlieue et de la jeunesse. Mais c'est surtout les dérives de la société de consommation que vise le réalisateur : "il est impossible de faire un pas sans que l'on vous propose quelque à acheter. Autrement dit, si tu n'as aucun moyen financier, tu n'es rien. On te juge par tes habits, par ce que tu représentes mais jamais pour ce que tu es." C'est la tragédie de ces personnages, José, Farouk et Reza : être des enfants de la consommation et, comme tels, des victimes de leur éducation. Ils se lancent dans ce braquage pour pouvoir exister : "tout à coup, ils ont accès à ce qu'ils croyaient être interdit. Il y a un côté "exploit", une sorte de fierté. Ils ont la sensation que les choses vont enfin changer." La spirale infernale commence quand ils se rendent compte qu'ils ne peuvent rien tirer de cette affaire : ni de l'argent, inexploitable, ni de leur fierté, qui ne les protègera pas de la prison.
"Un film est avant tout une histoire que l'on raconte" affirme Barthélémy Grossmann. Pour autant, peut-on exclure d'emblée une dimension politique dans 13 m²? "Non, sûrement pas, la politique nous la subissons au quotidien, donc forcément ça nous influence, et en tant qu'artiste il est important d'avoir un regard sur notre temps". Le film est nécessairement influencé par l'époque et le contexte, sans pour autant verser dans la propagande ou le pamphlet. Et pour le réalisateur, l'aspect politique doit rester l'apanage de la mise en scène, qui est le vrai conducteur du cinéma : "Tout ce qui est d'ordre politique - c'est-à-dire l'expression d'idées par rapport à la vie - est la patte du metteur en scène. C'est la façon dont je vois notre société, notre monde."
13 m² a bénéficié de la participation de deux seconds rôles prestigieux : Thierry Lhermitte, qui incarne un ancien voleur solitaire, riche de son expérience de la vie, et Bérénice Bejo, qui joue Sophie. Leur professionnalisme fut d'une aide précieuse pour Barthélémy Grossmann et Murielle Thierrin.