La France, Paris, les Champs-Elysées, les clichés sont intemporels et caractérisent pourtant une société au bord de la rupture. Passé devant plusieurs caméras, dont Jacques Audiard et son père Peter, Mathieu Kassovitz est rapidement passé de l’autre côté de la lentille. A la suite de la comédie romantique « Métisse », ce dernier s’est fait une place dans la cité des Muguets, à Chanteloup-les-Vignes, où il offre l’opportunité au public et au monde d’entrevoir une vérité, qui préoccupent de plus en plus l’actualité. L’unique passion qui dévore les habitants de HLM réside dans un sentiment de vengeance, généré par une peur omniprésente, au sein de ces quartiers ou du côté des forces de l’ordre. Et tandis que certains éprouvent le besoin de justifier un acte d’agression, d’autres dérivent à la recherche d’eux-mêmes, au-delà de la misère qui les conditionne et au-delà des préjugés.
Une voix-off ouvre et ferme le périple de jeunes rêveurs. Si cette démarche est loin d’être originale ou subtile, elle aura au moins le mérite d’entretenir l’écho moral du récit, qui traverse le temps. Le constat interpelle donc d’entrée, avec des images d’archives, où les émeutes et affrontements se sont multipliés. Les faits remontent jusqu’à la mémoire du jeune Makomé M’Bowolé, interpellé et assassiné sans pitié. Dans le film, c’est au nom d’Abdel qu’il répond, afin de renforcer le sentiment d’une jeunesse écrasé par la répression, jusque dans leur foyer, délaissé par la métropole qui aspire toutes les richesses les plus superficielles et les armes mortelles. Il ne faudra pas longtemps pour comprendre le rapport de force qui précipite la cité dans une colère noire. Vinz (Vincent Cassel) trouve une arme et compte le pointer sur ses obstacles. Mais son ego est vite refroidi par la rationalité de Hubert (Hubert Koundé), un boxeur sans ring à défendre et sans trône pour exister.
Le premier se perd autant dans ses imitations que devant un miroir. Alors qu’il fixe désespérément le spectateur, en attendant une réponse ou bien une solution, il finit par se voir comme un personnage de fiction, héroïque dans son propre scénario. Malheureusement, tout le monde n’est pas prêt à suivre ses fantasmes les plus fous et le fait que le beau parleur, Saïd (Saïd Taghmaoui), se joigne au groupe fait que chacun peut réellement se voir dans leur propre reflet. Ces trois individus, se mettent à sillonner l’autre cité, Paris, qui héberge également tout un tas de poivrots et de skinheads une fois la nuit tombée. On oppose ainsi les climats des deux environnements, qui ne se comprennent pas, qui ne prenne pas non plus le temps de communiquer dans avoir un flingue braqué sur la tempe. Et ce n’est pas à la force d’une caméra épaule et une reconstitution rigoureuse que l’on parvient à électriser chaque étape du trio. Il s’agit de cinéma, un art qui ne se veut pas pédagogique ou ludique au sens propre, mais bien une aventure humaine, qui révèle toute « La Haine » de celle-ci.
Spontanée et en chute libre, Kassovitz ne se préoccupe pas plus que cela de l’atterrissage, véritable pivot de son climax, qui pousse ainsi l’audience à poursuivre sa réflexion en dehors des salles obscures. Le milieu masculin et le contexte politique accusent la violence, alors que l’incendie peut se déclarer et s’éteindre à tout moment. Les repères temporels servent ainsi à distinguer l’ennui des protagonistes et à surligner la densité de leur voyage de retour. De même, le noir et blanc dévitalisent les beaux quartiers, en leur rendant toute leur hypocrisie et on dénonce au passage une naïveté qui rend l’uppercut final encore plus crédible et déprimant.