Véritable film coup de poing lors de sa sortie en 1995, "La Haine", 20 ans après sa sortie, fait partie de ces films cultes qui n'ont pas pris une ride. Mathieu Kassovitz effectue un choix judicieux en réalisant son film en noir et blanc. Il nous sert une photographie instantanée de la société française juste et impitoyable, en racontant la virée de trois jeunes de banlieue qui s'ennuient, que la société rejette. La dramaturgie est simple et efficace. L’action se déroule pendant vingt quatre heures, l’heure étant indiquée de façon aléatoire, avec une première partie en banlieue et la seconde à Paris. N’ayant pas les moyens de filmer en couleurs comme Mathieu Kassovitz le voulait, le choix du noir et blanc donne un caractère très urbain, graphique, permettant ainsi de se distinguer du film réaliste à la française. La banlieue est fantasmée par l’esthétique et la mise en scène avec de nombreux plans séquences. Le jeune réalisateur aime le cinéma américain et le revendique par une technique totalement maîtrisée. Les trois protagonistes, le juif, l’arabe et l’africain, ne sont jamais définis par leur origine, donnant une dimension universelle. La violence est omniprésente dès le générique, avec le montage d’émeutes, de pavés lancés, de bombes lacrymogènes et de rangées de CRS. La banlieue
s’embrase car Abdel Ichah est à l’hôpital suite à une bavure policière
. Le point de vue du réalisateur est ouvertement du côté des jeunes contre la police. La caméra suit les trois amis dans ces allées, elle survole les immeubles pour mieux montrer l’enfermement au milieu de ces tours. La violence vient surtout de l’extérieur, d’être “enfermé dehors”, de ce slogan publicitaire en référence
à Scarface “le monde est à vous” que Saïd par un coup de bombe de peinture s’empare pour remplacer le “vous” par “nous”
, d’un système qui oblige à ne pas rater le dernier RER. La violence devient alors instinctive, et caméra à l’épaule, en suivant ces trois protagonistes, on fait des rencontres explosives. La première partie montre le bouillonnement créatif par
les graffitis et la danse, caméra au sol sur des silhouettes qui tournent, s’élancent, retombent et s’envolent
. La musique est toujours extradiégétique et contre toute attente n’est pas très présente sauf ce DJ set de Cut Killer d’un appartement mixant NTM et Edith Piaf. Mais le battement de cœur de ce film, c’est le langage. Il rythme les pas et les mouvements de caméra et donne une musicalité tellement ça fuse. On parle plus qu’on agit. Vinz veut se venger, Hubert tente de le raisonner mais finalement le passage à l’acte ne se fera pas comme prévu. "La Haine" est avant tout un ressentiment. La parole et le regard sont les deux thèmes du film. Une scène le montre particulièrement,
lorsqu’un policier les regarde se faire humilier par ses collègues mais reste muet. Il semble choqué par ces pratiques obscènes mais ne parle pas. Au contraire, lorsque que Vinz veut tuer un skinhead, c’est la parole d’Hubert qui le sauve
. Le film est intemporel et toujours en lien avec le contexte social actuel. Les rapports entre les forces de l'ordre et les jeunes des cités sont filmés sans aucun manichéisme. L'heure de la journée ponctuant le déroulement de l'action renforce également la tension dramatique... Vincent Cassel, Hubert Koundé et Saïd Taghmaoui restent mémorables dans leurs prestations et sont représentatifs d'une jeunesse sacrifiée. Bref, c'est probablement un des meilleurs films français des années 1990. "La Haine" est devenu le symbole d’une génération et peut aujourd’hui être considéré comme l’un des meilleurs films français de ces vingt dernières années. Lorsqu’on fait la liste des œuvres qui ont marqué l’histoire du cinéma par des qualités scénaristiques, une mise en scène originale, la découverte de nouveaux interprètes talentueux, un point de vue radical, elles ne sont pas nombreuses, et "La Haine" fait justement partie de ces rares films, en plus d'être un film très noir, violent, pessimiste; c'est vraiment un film qui prend aux tripes, un vrai film "coup de poing". "La Haine" est un film culte dès sa sortie en salles, succès auprès du public et de la critique, il est devenu un objet social et médiatique. Les différentes polémiques firent oublier l’essentiel : un film fait par des jeunes qui ont tout donné, avec trois illustres inconnus, qui se moquaient de rentrer dans le système d’un certain cinéma français à Césars, simplement efficace et puissant, paradoxalement drôle, noir, violent, pessimiste et finalement poétique. Un vrai petit bijou du cinéma français