"Le Tueur", voilà donc le titre de ce film, tel qu'il s'inscrit sur l'image au générique de début juste au moment où apparaît Grégoire Colin. Point de suspens donc, on sait d'emblée qui est le tueur, et qui est la cible. Par contre, rien ne nous indique qui est le commanditaire et quel est le mobile. Un peu comme dans "Day Night, Day Night", on suit d'une façon quasi clinique les préparatifs de Dimitri Kopas, ses repérages, ses manoeuvres d'approche, et surtout ses longs moments où il n'a rien d'autre à tuer que le temps, dans son hôtel Mercure ou dans le restaurant tex-mex dont il a fait sa cantine.
On suit le prédateur, mais aussi sa proie. Dans un montage parallèle très maîtrisé, on peut les voir circuler dans Paris, vaquer à leurs occupations, prendre leurs bains et du coup on peut comparer le rangement maniaque de Kopas et le fouillis désordonné de Zimmerman. Mais assez vite, les choses ne se déroulent pas comme on pouvait l'attendre. Léon semble savoir qu'un contrat est sur sa tête, et Dimitri se met à mentir à son commanditaire pour jusitifier son inaction.
La trame prévisible de l'intigue se détricotte et de rebondissement en surprise, la vérité se fait jour, différente de l'apparence initiale. Mais qui donc se cache derrière ces images de surveillance que reçoit Kopas, comme celles que recevait Auteuil dans "Caché" ?
Il y a quelque chose de mevillien dans ce polar glacé. Par le traitement de l'image tout d'abord, tout en pénombre et en couleurs froides. Par l'économie de dialogues ensuite, le chat comme la souris étant taciturnes et ténébreux. Par le rythme particulier enfin, qui évoque le cinéma asiatique qui s'est tant inspiré de Melville. L'Asie est d'ailleurs très présente, que ce soit dans une longue scène de filature dans le Chinatown du XIII° (on est certes loin du tempo des "Filatures" à Hong-Kong !), dans le personnage de la dealeuse chinoise de Zimmerman, ou la chanson de Bijou/Gong Li dans "Shanghai Triad" qui défile sur l'écran en arrière-plan d'une scène-clé.
Très présent sur les écrans ces derniers temps ("Anna M." et "Cowboy"), Gilbert Melki est comme toujours excellent, avec son magnétisme vaguement menaçant qui suggère qu'il ne peut pas être réduit au seul rôle de victime. Mélanie Laurent apporte sa vulnérabilité gouailleuse à son personnage de jeune femme fatale venue s'incruster dans la vie de Kopas. Grégoire Colin quant à lui campe le tueur à la fois contre-point et doublure de sa proie, avec une brusquerie et une animalité inquiétantes, et que Cédric Anger filme dans la scène de rencontre comme un vampire.
Tout n'est pas réussi dans dans ce premier film, notamment un étirement inutile de l'action au milieu du film. Pourtant, dans le genre du film noir assez en vogue dans le cinéma français, Cédric Anger réussit à se faire remarquer par l'élégance austère de sa réalisation.
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