Est-il possible de synthétiser le talent d’un acteur dans une seule scène ? N’est-ce pas quelque peu réducteur de résumer une carrière à une seule et unique scène ? Certainement ! Et pourtant, pour moi qui viens de revoir le premier film de Claude PINOTEAU, je ne peux m’empêcher de penser de cette façon en ce qui concerne Lino VENTURA.
Pour mémoire, ce dernier interprète le rôle d’un physicien français enlevé par les russes, qui se fait de nouveau kidnapper, cette fois par les anglais, vingt ans après. Il est soumis à un éprouvant chantage par les britanniques : révéler le nom d’espions russes pour retrouver sa liberté. La question n’est pas pour lui de trahir, mais de devoir subir la vengeance qu’il sait inéluctable des services secrets soviétiques.
Ce film, c’est Ventura qui l’a voulu, en confiant l’adaptation à son ami Jean-Loup DABADIE et au cinéaste auquel il demande également de réaliser le film. Ce sera d’ailleurs le premier long-métrage où Pinoteau est seul aux commandes. Ce film, qui devait initialement s’appeler « Action », prendra finalement pour titre le principal trait de caractère de son héros.
C’est d’ailleurs dans une scène bien silencieuse que Lino y révèle tout son talent. Elle se situe au début du film, alors que son personnage, Clément TIBERE, est retenu prisonnier par le MI-6. Quelques ronds de cuir sont réunis dans un bureau, cigare au bec, et tentent de convaincre le scientifique de dénoncer des espions russes. Celui-ci restant silencieux, ils lui racontent tout ce qu’il a manqué durant son exil forcé : la vie de sa famille et, surtout, la mort de son fils. Là, précisément, à cet instant, le talent de l’acteur touche au génie. Par une simple expression, dans un haussement de sourcils et une étincelle dans l’œil, il parvient à nous faire saisir la détresse et le désarroi qui agitent son personnage. Point d’éclat de voix, de larmes, non, lui qui a toujours été adepte, à l’instar de son exemple de toujours, Jean GABIN, de ce que les américains appellent « the under playing », ou le jeu minimaliste, il atteint ici son paroxysme. Ou comment avec un minimum d’effet, exprimer des sentiments complexes et, surtout, nous faire entrer en empathie avec le personnage.
Puis, n’arrivant pas à le convaincre avec ces arguments massue, les british lui expliquent où est son devoir, qu’il DOIT rendre ce service à la Grande-Bretagne, à l’occident. S’ensuit une tirade « énervée », mais avec mesure, pour expliquer à quel point le MI-6 et le KGB se ressemblent. Là aussi, Ventura est formidable de sobriété et d’efficacité. Son attitude n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du repenti Antoine BERETTO dans Ne nous fâchons pas (Georges LAUTNER, 1966) qui se met en colère après Léonard MICHALON. Vous me direz sans doute qu’il est difficile de comparer les deux scènes, l’une étant de la pure comédie et l’autre tragique. Ce à quoi je rétorquerai que non, justement. L’acteur étant toujours juste, il peut utiliser les mêmes attitudes, le même ton dans des scènes totalement opposées et cela ne sonne pas faux, au contraire ! Il est parfaitement crédible dans les deux cas et nous émeut.
Lui qui ne se faisait pas confiance et ne pensait pas être un grand acteur, il fait partie de ceux qui peuvent faire basculer un film grâce à une scène. A l’image d’un Marlon BRANDO dans Le dernier tango à Paris (Bernard BERTOLUCCI, 1972) qui est bouleversant dans la scène où il parle au cadavre de sa femme, (non, je ne pensais pas à LA scène), et fait basculer un film graveleux dans de la pure tragédie ; ou bien d’un Matthew MC CONAUGHAY dans Interstellar (Christopher NOLAN, 2014) qui nous amène d’un film scientifique parfois trop complexe à la simple tragédie d’un père ayant dû se résoudre à abandonner ses enfants pour le bien de l’humanité. Eh bien, là, Lino fait glisser un « simple » film d’espionnage dans le drame intime d’un homme qui va devoir fuir ses semblables pour pouvoir survivre, car aucun d’entre eux ne vaut mieux que ses ennemis.
Du grand art qui se cache derrière la pudeur et la mesure !