L’homme est mal fait. 23 Octobre 2013, un film du nom de Gravity sort en salle et provoque un buzz mondial : oscars, critiques, kikous en pleurs, tous s’accordent sur ce point, Gravity est une révolution de cinéma. Et encore une fois les gens sont aveuglés par les effets spéciaux, car derrière cette coquille numérique, Gravity est vide. 30 Octobre 2013, un film nommé Le Transperceneige sort en salle et bien sûr, personne n’en parle, alors qu’il marque l’histoire du cinéma. Une seconde du Transperceneige est mille fois plus puissante que l’ensemble de Gravity. Mais arrêtons d’évoquer de mauvais films voulez-vous.
Adapté de la bande dessinée éponyme (écrite par Jacques Lob, Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand) Le Transperceneige, réalisé par le coréen Bong Joon Ho (the Host, Mother…) retrace le combat du dénommé Curtis (vivant à la queue du train et donc dans des conditions déplorables) contre l’autorité qui gouverne ce même train, dernier refuge de l’humanité après que la nouvelle ère glaciaire ait commencé. Dès le début on découvre un style de mise en scène efficace, tout est filmé à hauteur d’homme, comme si l’on était passager du train, spectateur dans un monde reclus, étroit, symbole d’une humanité retranchée sur elle-même. Car c’est bien le sujet du film, l’humanité(les Hommes) est décimée et l’humanité (la vertu) disparaît petit à petit. Où commence l’humanité ? Où s’arrête l’humanité ? Le film est extrêmement riche en termes de messages et nous y reviendrons. Pour l’heure parlons du scénario.
Après vingt minutes d’exposition qui nous font découvrir les pauvres gens de la queue du train et la dictature qui les oppresse, le rythme s’emballe afin de nous emporter littéralement dans cette tornade de violence. Se succèdent alors scènes d’action magnifiques et découverte du monde formé par le train. Puis arrivé à un moment, le récit se pose, gagne en force, en profondeur, pour nous offrir un final des plus grandioses. L’écriture des dialogues inspirée ne fait que renforcer cette aura de grandeur, aura qui ne pourrait exister sans la richesse des personnages, aidée par le jeu parfait de leurs interprètes. Le film comporte un lot d’acteurs des plus remarquables. On ne peut rester indifférent devant l’entrain de Jamie Bell, l’implacabilité de Vlad Ivanov, la bienveillance de John Hurt, la simplicité d’Ed Harris ou le cynisme de Song Kang Ho (le cinglé dans Le bon la brute et le cinglé). Cela dit, la performance de Chris Evans est d’autant plus remarquable qu’il est le Captain America inexpressif de Marvel, et qu’il incarne ici son personnage avec puissance, maîtrise et conviction, son meilleur rôle. Cela est très intéressant car c’est bien lui qui est au cœur de l’histoire, qui la construit. Pas une scène ne se passe sans lui car il est la personnification du message du film, ce qui rend ce dernier bien plus poignants.
Le travail est non moins hallucinant derrière la caméra. Bong Joon Ho donne à sa réalisation un sens du détail qui vient créer une personnalité au film. Quelques symboles par-ci par-là et des plans porteurs de sens viennent subjuguer le spectateur. Le réalisateur use également de quelques ralentis, sauf que contrairement à 300 et autres (des films immondes, en gros) ils ont une utilité. En effet ils servent à donner de la lourdeur à l’image pour ainsi dégager plus d’impact. Outre cela, on se sent transporté dans cet univers rachitique, notamment grâce à la mise en scène de haute volé du long-métrage. Donner vie au train, voilà un pari risqué que Bong Joon Ho remporte avec brio. Son film est riche dans ce qu’il raconte mais aussi dans la manière dont il le montre. Des travellings latéraux pour se concentrer sur l’action, des cadrages qui laissent admirer la profondeur du train, des plans en extérieur superbes, ou des gros plans très bien choisis, chaque intention de réalisation porte ses fruits, de délicieux fruits. De même les scènes d’action sont menées de manière splendide. Jamais confuses, elles bénéficient d’un montage parfait et de plans d’une beauté désarmante.
Se dégagent alors une force et une intensité comme on n’en a que trop rarement vues. L’on est scotché, pas dans son siège, car nous ne sommes plus au cinéma, mais dans le train. Et c’est sur cette Terre presque désertée par la vie, dans ce train presque vide d’humanité que Bong Joon Ho arrive à créer une ambiance, une personnalité, un ensemble qui donne au film sa grandeur et l’inscrit au panthéon cinématographique. Ce dernier est également aidé par les compositions de Marco Beltrami. A l’image de l’humanité, sa musique est appauvri, on joue rarement plus d’un instrument à la fois. Cependant, c’est quand elle est dos au mur que l’humanité fait part de ce qu’il y a de mieux en elle. Il en va de même pour les musiques de Beltrami. Que ce soit des moments de piano parfaitement monotones (le morceau Schlomo), des percussions guerrières ou des envolées de violons qui garantissent un final épique. Tout s’accorde pour mettre en valeur le message du film. Et c’est bien là la partie la plus sublime du Transperceneige, heureusement d’ailleurs, car je vous rappelle que le plus important dans un film, c’est ce qu’il raconte.
Il faudrait voir ce film une bonne dizaine de fois pour en saisir toutes les subtilités. Si les cinéphiles du dimanche pensent qu’il traite de liberté et de la lutte des classes mise en valeur par l’éternel combat des riches contre les pauvres, ils se trompent. Le Transperceneige parle de l’humain et de l’humanité. La volonté de tout contrôler de l’Homme est ici dénoncée. Le train qui tourne en rond autour de la Terre fait référence au déroulement cyclique de la nature, à l’équilibre. L’Homme se prend alors pour Dieu en voulant dicter sa conduite à la nature (cf. l’organisation dans le train). Or l’imagerie point nostalgique (des plans montrant des villes gelées) nous fait nous demander : Etait-ce vraiment mieux avant ? L’homme a voulu changer la nature (gaz de refroidissement CW7) et en a payé le prix. Et même dans ce train, dernier vestige de la vie, il veut encore tout contrôler. Ce qui le conduira certainement à un autre échec. De ce point de vue le film peut paraître pessimiste en condamnant la déshumanisation. Néanmoins, c’est dans ses personnages qu’il trouve une réponse et un discours plus puissant et plus optimiste. Tout est dans les symboles religieux. Le dieu qui construit le monde (ici le train), choisit un messie, et essaye de donner une essence à chacun, un rôle, un destin tout tracé. En cela, le film délivre un message encore plus intéressant car il dit qu’il n’y a pas de destin, que c’est l’Homme qui se forge sa vie et que rien n’est écrit. La conclusion du film va alors dans ce sens que l’Homme ne peut tout contrôler, encore moins ses semblables. La réussite du film est qu’il aborde et met en œuvre ce message à travers des scènes d’une incroyable beauté, telle que seul le cinéma peut en offrir.
Alors que le cinéma devient de plus en plus superficiel (à l’image de son public), Le Transperceneige devient un symbole d’espoir et confirme que le cinéma coréen a de beaux jours devant lui. Bong Joon Ho livre un chef-d’œuvre d’une puissance sans équivalent, terriblement touchant, au sujet traité comme il se doit. Bien plus qu’un hommage au livre dont il est tiré, il constitue une leçon de cinéma et une satire/apologie cinglante de l’Homme. Et finalement, faire un film comme celui-là, n’est-ce pas la plus belle preuve d’humanité ?