Le générique de début s'inscrit sur fond noir alors que résonne un tic-tac ; puis en très gros plan, la préparation d'une opération esthétique : le chirurgien trace des pointillés noirs sur la peau, un goutte-à-goutte distille le produit anésthésiant, puis des images crues des chairs charcutées. Une femme portant un masque pousse ensuite la porte de la clinique dont les battants affichent les images de deux demi-visages différents, elle sort dans la rue, hagarde, elle est percutée par une passante, et le portrait qu'elle tenait contre elle tombe et vole en éclat.
Ces deux premières minutes donnent le ton du dernier film de Kim Ki-Duk : un rythme nerveux, fait de scènes courtes, de récurrence d'actions et de symboles, une narration où l'enjeu n'est pas la réalité de telle ou telle action (dès le début, on sait que See-Hee s'est fait opérer) mais ce que ressentent les personnages.
Belle idée de scénariste que celle de cette femme qui tente de combattre l'érosion du désir et l'usure du temps en repartant à zéro, et en tentant de séduire une deuxième fois le même homme. Kim Ki-Duk représente ce temps qui s'écoule par la répétition des lieux (le café, le ferry, le parc aux statues et notamment la sculpture des mains-escalier), des objets (les photos, les lettres, les messages sur le portable) et des actions (la dispute, l'opération, la séduction).
Ayant vu "Printemps, Eté, Automne, Hiver... et Printemps" il y a peu, et malgré les différences entre les deux films, j'ai retrouvé aussi des constantes : la giffle, le masque dérisoire (ici le mot "fermeture", là la photographie de celle qu'elle était avant), la femme à la tête couverte d'un foulard, la porte à doubles battants qui donne accès à un autre monde...
On est pris par ce tourbillon, un peu agacé par l'hystérie et la jalousie de See-Hee, un peu désolé du manque de clairvoyance de Ji-Woo ; on passe de scènes drôles, comme la séduction par le maniement du balai, à des scènes poétiques, comme celle très courte d'une petite fille déguisée en ange qui vient apporter un message, ou celle où See-Hee découpe des visages glamour dans un magazine, préfiguration du charcutage qu'elle va subir.
Mais le film s'essouffle aux deux-tiers, quand il découvre l'identité de celle qu'il vient de séduire, et qu'à son tour il disparaît. La répétion cyclique devient un enfermement étouffant, et même si on comprend qu'est en jeu l'application de la loi du talion, oeil pour oeil, visage pour visage, on ne sait plus si c'est See-Hee ou Kim Ki-Duk qui ne trouve plus la sortie, et nous avec.
On est très loin de l'univers contemplatif de"Printemps, Eté, Automne, Hiver... et Printemps", et le jeu des comédiens n'est pas toujours à la hauteur ; mais "Time" malgré ses imperfections offre une réflexion vertigineuse sur l'identité et la résistance à l'usure, et il reste le film captivant d'un cinéaste décidément très éclectique.
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