Le film d'adolescents nord-américain (ici, le Canada anglophone, Dancing Elk oblige) représente un genre typique du cinéma et des séries télé du Nouveau Monde : longs couloirs bordés de casiers, frime des gars de l'équipe de foot US, cheerleaders, et permis à 16 ans. Ici, on retrouve tous ces ingrédients, sauf qu'ils ne servent que de toile de fond à l'intrigue, et que la gamine qui remonte le flot de élèves à contre-courant exhibe un ventre proéminent.
Chez Juno, rien n'est vraiment comme chez les autres : son téléphone-hamburger, le nom de sa guitare ("Roosvelt, pas Ted, Franklin, le cool avec la polio"), sa datation de l'apogée du rock ("1977, Punk is dead") et ce qu'elle retient de ses cours ("Les profs de S.V.T. nous disent que la grossesse se solde souvent par un enfant"). Elle est juste différente, y compris des ados rebelles ; son choix de garder l'enfant, n'est pas dû à une longue réflexion éthique ou à un souci de se conformer à un ordre moral, mais à l'image que lui souffle une camarade asiatique qui tient toute seule un piquet anti-IVG devant le Planning Familial : le foetus a des ongles.
Pourtant, cette grossesse est visiblement ce qu'il pouvait lui arriver de pire, au moins aux yeux de ses parents qui confessent après qu'elle leur ait annoncé la nouvelle : "J'espérais qu'elle avait été renvoyé ou qu'elle se droguait". Quand elle voit apparaître la petite croix rose sur le test de grossesse, son réflexe est de le secouer, comme s'il s'agissait d'une ardoise magique. Mais à partir du moment où elle a fait son choix, elle l'assume envers et contre tous, même si elle peut compter sur un père compréhensif et une copine complice.
C'est peu dire que tout l'édifice du film repose sur les frêles épaules d'Ellen Page. Cette actrice canadienne de 20 ans, révélée dans "Hard Candy" où elle castrait un prédateur sur internet, réussit à se faire passer pour une ado de 16 ans qui en paraît 14. Tour à tour provocatrice, enfantine et terriblement mature, elle égrène de sa voix grave des perles qui font de la page Memorable Quotes d'IMDB une des plus longues de ces dernières années. Marion, te voilà prévenue, il y a de la concurrence...
Mais la réussite du film vient aussi d'un scénario très habilement construit, qui réserve un certain nombre de surprises - même si la fin semble un peu plus prévisible et pour tout dire un peu décevante par rapport au reste de l'intrigue. Et puis Jason Reitman confirme ce qu'il laissait entrevoir dans "Thank You for Smoking", avec une réalisation très maîtrisée : un découpage par saisons, introduit par une scène où un peloton de coureur aux couleurs du collège traverse invariablement le cadre, et une utilsation des couleurs dominantes de chacune des saisons ; un jeu sur la profondeur de champ qui permet d'isoler ce qu'il veut souligner ; sa façon de suggérer par l'image, comme ce traveling où on surplombe la capuche de Juno, petit Chaperon Rouge moderne ; et une intégration de la musique dans le récit qui évite la redondance contrairement à la plupart des films récents.
Moins caustique qu'"American Beauty", moins déjanté que "Little Miss Sunshine", "Juno" réussira sans doute à plaire aussi bien à un public populaire qu'à des spectateurs plus cinéphiles, et après tout, ce ne sera que justice.
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