Bien que je sois extrêmement sensible aux images de violence infligée aux animaux, et ici, une scène incluant un lapin n'est pas truquée (mais on ne va pas crier au scandale de façon hypocrite alors qu'on peut aller au supermarché, au restaurant, manger chez des amis, et voir la même chose, la dignité de vie des animaux en moins...) mais le lapin est clairement tué par un paysan qui le mangera ensuite, et l'on devine aisément que Jörg Buttgereit a simplement demandé à ce monsieur s'il pouvait filmer l'une des fois où il tuait un lapin avant de le manger (ancienne citadine, j'habite maintenant un village de campagne et ce n'est pas une pratique rare ici. Et tant mieux, parce que les animaux ont une belle vie et la mort est rapide !).
Donc bref : à part cette scène qui m'a clairement fait du mal, j'ai trouvé beaucoup de sens à ce film et contrairement à la majorité, je ne l'ai pas trouvé ridicule. Je trouve d'ailleurs que son côté cheap accentue encore sa part métaphorique/poétique.
Ce qui est drôle, c'est que les spectateurs aiment quand le gore vient d'un psychopathe sans âme et que le récit est centré sur la victime en fuite, se fichent si les personnages secondaires survivent et sont donc totalement désensibilisés à la valeur égale d'une vie par rapport à une autre, mais que ces mêmes spectateurs n'aiment pas quand le récit choisit le camp du dingue (sauf si c'est Dexter puisqu'il tue uniquement des méchants, allo conte de fée morbide).
D'ailleurs une partie clé du film comprend une mise abîme qui met bien en avant ce point : durant une séance de cinéma, auquel le protagoniste necrophile de l'histoire assiste et de laquelle il se lasse assez vite, des couples se bécotent devant un film slasher à l'ancienne, avec une femme prise en chasse par un manifeste serial killer armé d'un couteau. Oui, donc au cinéma devant ce genre de scènes qui mélangent la pin up en détresse que s'amuse à torturer un malade avec un couteau, on se bécote, d'autres boivent une bière, d'autres encore semblent prendre des notes. Mais notre necrophile finit par s'ennuyer : il ne semble pas emballé par cette violence qui n'a aucun sens ni aucune profondeur.
"Nekromantik" est en fait une histoire que tout le monde comprend mais qui répugne tout le monde parce que le monde dans lequel nous vivons a créé une séparation judiciaire entre ce qui est tolérable : l'argent, la santé, l'amour, la joie et curieusement la guerre, les films d'horreur, pouvoir dire que "Psychose" est un chef d'œuvre, et ce qui ne l'est pas : les cadavres et les déchets organiques lorsqu'ils sont trop odorants. Un peu comme ce film.
Et pourtant, durant l'une des premières scènes du film, notre nécrophile en détresse regarde un documentaire sur les phobies, et sur comment soigner celles qui sont guérissables. Le fait de se confronter en permanence à sa phobie pourrait nous la rendre supportable, et même "aimable".
Est-ce parce qu'on est devenu terrorisé par notre propre cadavre que l'on pourrait devenir phobique (ou contre phobique) de ce film ? Tout comme le personnage l'est de sa propre finitude, celle de son esprit autant que de son corps ?
Et je pense que c'est bien de cette séparation sociale des temps modernes, où tout est bien segmenté et où l'homme éduqué ne doit plus jamais rien connaître du futur de son corps ni de la réalité de ce qu'il mange de viande (des cadavres déguisés) que naît la phobie de la mort. Et c'est bien de cela dont traite ce film qui n'a disposé d'aucun moyen et a su faire malgré tout quelque chose de son sujet.
La musique est d'ailleurs très adaptée à la psyché du personnage et au second degré de lecture nécessaire à la compréhension de l'intention du scénario.