Dans une interview qu'il nous a accordé sur le tournage, Jean-Paul Rouve nous a expliqué l'intérêt qu'il portait pour ce gangster qui défraya la chronique à la fin des années 70 : "Ca fait un moment que j'avais envie d'écrire sur ce mec, il me faisait rire, il m'étonnait, il m'amusait aussi beaucoup, il se déguisait tout le temps, avec des déguisements de piètre qualité... J'aimais bien la dualité du personnage entre son côté voleur et son côté vedette. Et ce qui l'intéressait, c'était pas tant de voler de l'argent que d'être connu. Je pense qu'aujourd'hui il aurait fait la "Star Academy" ou il serait passé chez Delarue. Et à l'époque, il s'est dit "tiens, un casse c'est pas mal" et ça a réussi."
C'est durant une séance d'écriture que Jean-Paul Rouve se décida à réaliser ce film. Ce dernier se souvient : "On travaillait à Nice, Benoît Graffin qui m'écoutait lui dire : "Cette scène, il faudrait la filmer comme ça, que la caméra aille par là, puis par là...", m'a dit : "Tu devrais le réaliser toi-même ce film, tu es le mieux placé !". Jusque-là, j'avais surtout envisagé des réalisateurs très confirmés, comme si, inconsciemment, je voulais justement m'empêcher de penser à le faire moi-même ! Après la réflexion de Benoît, je me suis mis à y réfléchir vraiment, à me poser des tas de questions, jusqu'au jour où j'ai fini par dire : "Et pourquoi pas ?"."
En guise de préparation, Jean-Paul Rouve s'est lancé dans un méticuleux travail de documentation, consultant de nombreuses archives, rencontant des journalistes qui avaient interviewé Spaggiari et des gens qui l'avaient connu. "On a essayé de rencontrer sa dernière compagne, Julia, confie-t-il, mais elle ne veut pas parler, ni se montrer. C'est une histoire d'amour incroyablement belle. Elle était d'une riche famille, elle a tout quitté par amour pour le suivre en cavale. Elle l'a toujours protégé. Depuis sa mort, jamais, elle n'a donné d'interviews, jamais, elle ne s'est montrée. Magnifique !"
Côté réalisation, Jean-Paul Rouve souhaitait s'inspirer de Husbands de Cassavetes, de L'Eté meurtrier et de Claude Lelouch. "J'aime bien ce côté "à la limite", quand on ne sait pas finalement si c'est joué ou improvisé, explique le cinéaste. J'aime bien être un peu déstabilisé de cette manière-là, sans pour autant rechercher l'effet pour l'effet... Le film est né de tout ça. On a fait beaucoup de caméra à l'épaule, beaucoup de plans séquences. On n'avait pas beaucoup de moyens et c'est tant mieux ! Je ne voulais pas qu'on ne voie que les moyens, je ne voulais pas que ça fasse trop "cinoche", avec des plans de grue et tout le reste... J'ai dit à Christophe Offenstein : "On filme avant tout des acteurs et des personnages". Je voulais qu'on baigne dans l'histoire, qu'on se sente comme enveloppé par cette histoire, on a ainsi utilisé beaucoup de longues focales."
Vincent Goumard, le journaliste incarné par Gilles Lellouche, n'est que pure fiction. Jean-Paul Rouve explique comment lui est venue l'idée de ce personnage : "C'est en réfléchissant aux raisons qui me poussaient à vouloir jouer Spaggiari que ce personnage est né. Et on a inventé un type qui a une vie ordinaire, presque banale, en tout cas bien ordonnée, qui traque Spaggiari et, une fois qu'il l'a approché, se laisse peu à peu séduire par lui, pas tant par ce qu'il a fait que par ce qu'il est... En fait, ma référence, c'était Presque célèbre. La vedette du film de Cameron Crowe, ce n'est pas le groupe de rock, mais le gamin qui rêve d'être journaliste pour Rolling Stone et qui suit les musiciens. L'histoire est toujours vue à travers son regard. Là, c'est pareil : tout est vu à travers les yeux du "journaliste" ou à travers les souvenirs que lui raconte Spaggiari. Ce qui m'intéressait, c'est le rapport humain qui, au fur et à mesure de leurs rencontres, va se développer entre ces deux hommes, le lien qui se noue entre eux. Le "journaliste" était un moyen idéal pour parler de ces contradictions entre la raison et la séduction, entre la vie qu'on a et la vie qu'on rêve..."
Approché par l'acteur-réalisateur, Philippe Torreton a malheureusement dû décliner sa proposition de faire partie du casting.
Albert Spaggiari est né dans le village de Laragne-Montéglin. Après des années de voyages, d'errances et de guerre (L'Indochine en tant que Para), il s'installe à Nice et y ouvre un studio de photo. En 1976, après avoir longuement et ingénieusement réfléchi, il décide de s'attaquer à la chambre forte de la Société Générale de Nice par les égouts. Avec du bon sens (il vérifiera les systèmes de détection sismique et acoustique grâce à un réveil caché dans un coffre loué, il se fournira des alibis) et un bon coup de pelle (il creusera accompagné de gangsters professionnels recrutés sur Marseille et de quelques amis d'aventures), au bout de trois mois, il accédera à la salle des coffres ! C'est ainsi qu'au cours du week-end du 17-18-19 juillet 1976, il dérobera près de 50 millions de francs ! Au lundi matin, ce que les employés de la Banque trouvèrent, eux, ce fut juste un mot : "Ni arme, ni violence et sans haine". Après enquête, Albert Spaggiari fut arrêté à l'aéroport de Nice. Il choisira pour sa défense Maître Jacques Peyrat, futur Maire de Nice. Celui-ci ne put jamais le défendre car au cours d'une audience avec le juge, le 10 Mars 1977, Albert Spaggiari s'évada en sautant par la fenêtre. À partir de là, commença pour lui une cavale médiatique. En effet, durant des années, il narguera la police française en écrivant des livres chez Albin Michel, en donnant des interviews pour Pivot, ou en envoyant chaque année, ses voeux au Président. Sa cavale, si elle fut médiatique et ensoleillée (il choisit comme de nombreux criminels l'Amérique du Sud, si souple en la matière), fut aussi de courte durée, car la maladie le rattrapa. C'est le 8 juin 1989, en Italie dans un village de montagne où il s'était réfugié avec sa femme qu'il s'éteindra.
Les exploits de Spaggiari à Nice en 1976 inspirèrent José Giovanni qui lui consacra un film en 1979, Les Egouts du paradis, avec Francis Huster dans le rôle principal.