Une cahute de bûcherons dans la forêt subtropicale. Un homme enfile son maillot albiceleste frappé du n°10, et part avec sa tronçonneuse sur l'épaule. Un insecte trace difficilement sa route dans la sciure, tandis qu'un arbre s'abat. Des témoins s'adressent alors à la caméra pour parler de Tati Benitez, et raconter que tout le monde l'appelle Diego, qu'il est incollable sur le pibe de oro dont il s'est fait tatouer le numéro dans le dos. D'autres rapportent qu'il a acheté 50 pesos une photo dédicacée, puis l'on voit le procès en authenticité de la relique, et quand la question est tranchée, non pas par le jugement de Dieu mais par celui d'un ouistiti, un client du bar lance "C'est sûrement un Brésilien qui lui a refourgué !"
Ces trois premières minutes du film donnent le ton : au travers de cette histoire simple, nous allons observer l'immense et le minuscule, le quotidien et le mythique. Disons-le tout de suite : "El Camino de San Diego" est une pure merveille, quelque chose entre "Une Histoire Vraie" et "La Nuit du Chasseur", évoquée par ces animaux en premier plan, chouettes ou marsupiaux, hommage à la descente de la rivière par John et Pearl.
"El Camino de San Diego" est d'abord un film sur la foi, celle dont Nougaro disait qu'elle est plus belle que Dieu. Le culte de Tati Benitez pour Maradona, représentatif de celui d'un peuple et d'un pays qui s'arrête pour attendre devant la télé l'apparition de Diego à la fenêtre de la clinique, où les mêmes qui se moquaient de l'afficion de Tati scandent des slogans de soutien devant cette même télé, et où les camionneurs klaxonnent pour célébrer l'amélioration de son état de santé.
La foi multiforme, chrétienne et païenne, comme celle de ce peintre qui a réalisé une fresque mêlant le Che et Gauchito Gil, mélange argentin de Robin des Bois et de Sainte Blandine, et qui s'engage à rajouter Maradonna pour compléter ainsi ce que Tati appelle la Sainte Trinité. Les manifestations de cette foi constellent tout le film : les statuettes du routier brésilien, le pendule de la Senora Matilde ou les centaines d'ex-votos dans le sanctuaire de Gauchito.
Cette foi aide à vivre dans un pays en pleine crise, et dont les manifestations émaillent le récit : le licenciement de Tati, les vendeurs à la sauvette pourchassés par la police, la piquet de grève qui bloque la route et qui laissera passer la statue miraculeuse. La gentillesse de Tati (certains diront la naïveté) est désarmante, et partout la solidarité de l'Argentine d'en-bas cherche à compenser la dureté de la vie.
Comme tout road-movie, le héros rencontre de nombreux personnages et croisent de multiples histoires ; mais à aucun moment, Carlos Sorin (un nom de footballeur !) ne tombe dans la caricature ou la galerie pittoresque ; chaque rencontre apporte au récit, structuré par le McGuffin qu'est la statue et le débat qu'elle suscite partout, pas toujours accessible à ceux qui ne connaissent pas l'Argentine (la ressemblance du chanteur Carlitos Mona Jimenez avec Maradona) ou le football ("T'aurais dû faire la statue de Francescoli", lance un collègue de Tati à l'annonce de l'hospitalisation de l'idole).
Nouvelle preuve de la vitalité du cinéma argentin, qui montre avec celui du Mexique qu'il existe sur ce continent d'autres possibiltés qu'Hollywood, "El Camino de San Diego" est un véritable bijou, poétique et subtil, bercé par la musique fersenienne de Nicolas Sorin. C'est en tout cas ma meilleure surprise depuis "La Vie des Autres".
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