En l’an 2000, Charlie Kaufmann, vedette du cinéma indé, concepteur de succès au concept perché pour “gens qui savent” comme ‘Eternal sunshine of the spotless mind’ et ‘Dans la peau de John Malkovich’, était au sommet de sa gloire. Comme beaucoup de scénaristes frustrés, il commet l’erreur de se lancer lui-même dans la réalisation, avec ce ‘Synecdoche, New York’. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’expérience fut un échec, un échec total, à la fois sur le plan critique et commercial, au point qu’on n’entendit plus parler de Kaufmann pendant dix ans. Qu’est ce qui peut expliquer un revirement aussi spectaculaire et aussi total ? ‘Synecdoche’ est-il aussi abominable que son absence d’héritage le laisse supposer ? Pas du tout, c’est un film ambitieux, réussi par certains aspects mais difficile à aimer, difficile à comprendre même, tant il finit par s’embrouiller (consciemment) dans son jeu de reflets. Est-il nombriliste ? Toujours, mais pas spécialement plus que beaucoup d’autres films d’auteur. Prétentieux ? Terriblement, sans doute trop pour son propre bien. On a parfois l’impression qu’il tente d’imposer le même genre de concept vertigineux et pas toujours abouti qu’un Christopher Nolan, mais sans pouvoir en dissimuler les failles derrière le Genre et les effets spéciaux. Hors-sol ? Ca se passe dans le milieu créatif new-yorkais, si ça répond mieux à cette question. Au-delà des premières minutes, durant lesquelles on croit qu’on va assister à la fragmentation personnelle et familiale d’un metteur en scène névrosé, le film se rue dans un chemin de traverse. A mesure que sa réalité s’effondre, notre auteur se retrouve aspiré par la création de son ultime chef d’oeuvre, sa vie, la vie, la trame même de l’existence - on ne joue pas de petits montants chez Kaufmann - reconstituée sur une scène d’abord modeste mais qui prend ensuite de plus en plus d’ampleur : pièces, maisons, immeubles, rues, espaces publics, acteurs jouant les rôles des personnalités réelles impliquées dans la pièce, ce simulacre commence à fonctionner en autarcie, tout en continuant à puiser sa matière dans le réel, jusqu’à en devenir une copie parfaite, jusqu’à s’y substituer peut-être. On retrouve là des motifs familiers du travail de Kaufmann, comme l’interdépendance et la confusion entre réel et inconscient ou la mise en abîme. Bientôt, les dopplegängers commenceront à s’empiler, à mesure que les rôles joués par les premiers d’entre eux se confondent à leur tour avec cette nouvelle réalité, et les ellipses narratives qui occultaient des secondes au départ, font parfois disparaître des années entières. Si on n’y prend pas garde ou si on se laisse distraire par les détails, ‘Synecdoche’ s’enfoncera alors dans une confusion inextricable avant de se terminer dans de sombres ruminations méditatives. Il y a pourtant une logique à cela, et elle est sans doute à chercher dans le subconscient de Kaufmann, dans son angoisse de la mort et sa crainte de ne rien avoir fait de valable du temps qui lui était imparti. ‘Synecdoche’ est sans conteste un film qui réfléchit, qui réfléchit même beaucoup trop, sans qu’il y ait un réalisateur un peu fantaisiste, comme Michel Gondry ou Spike Jonze, pour canaliser les obsessions de Kaufmann et y mettre un peu de couleur. On ressort de la séance un peu dépité, un peu abattu, un peu sinistré, la potentielle stimulation intellectuelle ayant été largement gommée par le marasme égocentrique et une volonté apparente du réalisateur, abondamment illustrée métaphoriquement, de s’enfermer dans ce cercle non-vertueux de questions sans réponses et de pessimisme auto-alimenté qui suinte de tout le dispositif.