Présenté en Sélection officielle au Festival de Cannes dans le cadre de la section Un Certain Regard, Hunger y a remporté une des récompenses les plus prestigieuses, la Caméra d'or, décernée au Meilleur premier film, toutes sections confondues. Le jury était présidé par Bruno Dumont. Le réalisateur a également obtenu le Discovery Award au Festival de Toronto, ainsi que le Prix Coup de coeur (remis par une associations d'exploitants) au Festival du Film britannique de Dinard.
Le cinéaste précise ses intentions : "Je souhaitais montrer à quoi pouvait ressembler le quotidien d'un prisonnier dans le Quartier H en 1981. Ce que j'ai cherché à transmettre dans mon film, c'est ce qu'aucun livre et aucune archive ne révèle jamais : la dimension à la fois ordinaire et extraordinaire de la vie carcérale. Le film évoque aussi l'engagement de ceux qui meurent pour servir leur cause, et en ce sens, pour moi, Hunger a des résonances contemporaines. La conception du corps comme champ de bataille politique est une notion des plus actuelles. Il s'agit de l'acte de désespoir ultime car le corps humain est la dernière ressource de la contestation. On utilise ce qu'on a à sa disposition, pour le meilleur et pour le pire (...)Au bout du compte, il ne reste plus qu'un homme seul qui vit ses derniers jours dans d'abominables souffrances, alors qu'il pourrait tout abandonner et choisir de vivre. Le geste physique le plus simple prend l'allure d'un parcours insurmontable. Dans Hunger, il n'y a pas de notion simpliste de "héros," de "martyre" ou de "victime." Mon but est de susciter le débat chez les spectateurs et de bousculer nos repères moraux."
Homonyme du légendaire acteur américain, le réalisateur n'est pas non plus un inconnu, même si Hunger est son premier long métrage. C'est dans l'univers de l'art contemporain que ce Steve McQueen s'est fait un nom. Né à Londres en 1969, il a étudié à Chelsea et New York. Lauréat du Prix Turner en 1999, il a vu ses oeuvres exposées dans les musées le splus prestigieux, du Guggenheim à la Tate Gallery en passant le Centre Pompidou. Un de ses travaux les plus fameux est Queen and coutry, planche de timbres postaux représentant les hommes et femmes tués pendant la guerre d'Irak ainsi que le profil de la Reine d'Angleterre. En 2003, McQueen a été nommé "artiste de guerre offcieil" par l'Imperial War Museum.
Repéré dans deux films d'époque extrêmement différents, le mélo Angel de François Ozon et l'adaptation de comic 300 de Zack Snyder, l'acteur Michael Fassbender, dont la prestation dans Hunger a été très applaudie, a perdu pas moins de 14 kilos pour jouer le rôle de Bobby Sands. Le tournage a été interrompu pendant plusieurs semaines, laissant le temps à l'acteur de perdre du poids.
La mort de Bobby Sands dans sa prison de Maze, le 5 mai 1981, a fortement marqué les esprits. Ce décès est survenu 66 jours après le début de la grève de la faim, moyen choisi par Sands pour protester contre le refus des autorités de donner un statut particulier aux prisonniers politiques de l'IRA. Né en 1954, Sands rejoint les rangs de l'Armée Républicaine Irlandaise en 1972. La même année, il est arrêté une première fois, et emprisonné jusqu'en 1976. Un après sa libération, il est condamné pour possession d'arme à 14 années de prison. C'est en 1976 qu'est supprimé le statut spécial des prisonniers jugés coupables d'action terroriste. Ceux-ci sont désormais considérés comme des détenus de droit commun. Une première grève de la faim est entamée par les prisonniers républicains en octobre 1980, puis interrompue en décembre, lorsque les prisonniers pensent, à tort, avoir obtenu des concessions. Bobby Sands, qui relance la grève de la faim le 1er mars 1981, devient la figure emblématique du mouvement. Plus de 100 000 personnes assisteront à ses funérailles. La mort de Sands sera suivie par celle de 9 autres militants grévistes de la faim. Le 3 octobre, les prisonniers mettent fin à leur action. Peu après, le gouvernement cèdera à leurs revendications (ne pas porter d'uniforme, être dispensé de travail carcéral...) sans leur reconnaître leur statut de prisonnier politique.
Steve McQueen revient sur la structure de Hunger : "Je voulais que la première partie du film donne l'impression qu'on entre dans une pièce et qu'on éteint la lumière pour se repérer au toucher : on s'imprègne de l'architecture et de la topographie du lieu. Au départ, je ne voulais aucun dialogue (...) je voulais qu'on ressente l'atmosphère qui régnait là-bas à cette époque (...) Et puis, je me suis dit qu'après ce long moment sans dialogue, il faudrait une avalanche de dialogues. Un affrontement, un débat, un peu comme une finale haletante de Wimbledon entre Jimmy Connors et John McEnroe ou un duel Frazer-Ali (...) Dans Hunger cela correspond à la scène entre Bobby Sands et le prêtre. Certains pensent que Bobby avait tort –c'était un terroriste– et d'autres estiment qu'il avait raison – c'était un martyr – et je voulais que le spectateur puisse peser le pour et le contre." A propos de ce long face à face entre Michael Fassbender et Michael Cunningham, véritable morceau de bravoure du film, le réalisateur se souvient : " Avant qu'on ne dise 'Moteur', je leur ai expliqué que c'était sans doute la seule fois de leur carrière où ils allaient pouvoir tourner une prise de 22 minutes !"
Steve McQueen et son coscénariste Enda Walsh, dramaturge d'origine irlandaise, ont fait un long travail de recherche avant de se rendre en Irlande du Nord, où ils ont rencontré d'anciens détenus et surveillants de prison ainsi que des prêtres qui rendaient visites aux détenus. Ces entretiens "resteront comme l'expérience la plus marquante de ma vie sur le plan émotionnel", confie le réalisateur. "Quand on est rentrés à Londres, je crois qu'on ne s'est pas reparlé pendant deux semaines, pour nous remettre de cette expérience." Le cinéaste souhaiter tourner son film à l'intérieur du qaurtier H, mais cela n'a pas été possible. Il a en revanche tenu à tourner en Irlande du Nord, avec des comédiens et des techniciens locaux "(...) ils se souvenaient tous de ce qu'ils faisaient quand Bobby Sands est mort et pendant sa grève de la faim. Ils étaient tous liés, de près ou de loin, à ces événements", explique-t-il.
A travers ce film qui relate des événements survenus au début des anénes 80, Steve McQueen avait surtout envie de parler de son pays, la Grande-Bretagne : "J'ai fait des films au Congo, je suis allé en Irak – j'y étais en tant qu' "artiste de guerre" –, mais ce qui m'intéresse, c'est ce qui se passe tout près de chez moi. Nous avons réalisé un film de réflexion qui parle de nos choix et de notre passé, de notre regard sur nous-mêmes en tant que nation, de ce que nous avons fait. Du coup, j'espère que les discussions qui suivront la projection du film porteront sur notre identité."