"Il y a quelque chose d'inexplicable, de mystique, dans ce que je ressens pour vous. Comme si je vous avais toujours aimé dans d'autres vies dont je ne me souviens plus. Comme si tout ce qui m'était arrivé avant de vous connaître ne m'était pas arrivé. (...) Personne d'autre n'existe pour moi. (...) L'amour se mesure à ce que l'on accepte de lui sacrifier. Je mourrais pour vous sans hésiter une seconde. Voilà combien je vous aime." Quand Ava Gardner, sublime de beauté et d'émotion, prononce ces paroles face à la caméra... ça fait quelque chose. Au-delà du lyrisme, il y a ce regard, cette lumière... Un mélange de glamour absolu et de sentiment tragique qui envoûte le temps d'un monologue. Tout le film est à la gloire de l'actrice dont la beauté est magnifiée par le travail du chef op', Jack Cardiff. Face à elle, James Mason n'est pas mal non plus, très classe. On peut être sensible aussi à la diction parfaite de ses interventions en voix off.
L'histoire se développe comme un conte fantastique, mélodramatique et surréaliste. L'association des genres est baroque, un peu kitsch et emphatique parfois, mais étonnante, voire troublante. Il s'agit d'une version moderne de la légende du Hollandais volant. Meurtrier de sa femme, par jalousie, cet homme du XVIIe siècle fut condamné à voguer éternellement sur les flots, à bord d'un navire fantôme, et à ne vivre une vie d'homme que six mois tous les sept ans. Seule une femme qui accepterait de mourir pour lui, par amour, mettrait fin à la malédiction et lui permettrait de trouver le repos. À cette dimension fantastique du récit s'ajoutent des références à la mythologie grecque, notamment au mythe de Pandore. Dans le film, Pandora est une star admirée, hautaine, qui fait le malheur des hommes qui l'entourent, fous d'amour pour elle, prêts à sacrifier ce qu'ils ont de plus précieux pour la conquérir, prêts à tuer ou à se tuer... Un rôle qui fait écho à la vie privée, tumultueuse, d'Ava Gardner. Par ailleurs, la structure même du film, son aspect pictural et le portrait du Hollandais volant témoignent d'une inspiration surréaliste. Albert Lewin, le réalisateur, appréciait ce mouvement artistique ; il admirait l'oeuvre de Man Ray, par exemple. Son film aurait pu également reprendre le titre d'un livre d'André Breton, L'Amour fou. Voici ce que Lewin déclarait au sujet de Pandora (propos repris par Patrick Brion dans Le Cinéma fantastique) : "Quand nous voyons pour la première fois le Hollandais volant, il est en train de peindre le portrait d'une femme qu'il n'a jamais vue. Voilà un aspect purement surréaliste du personnage. Il était donc naturel pour moi d'essayer de faire un film délibérément surréaliste. Ce désir prit forme pour Pandora. L'habitude qu'avaient les surréalistes de juxtaposer des images anciennes et modernes, particulièrement remarquable dans l'oeuvre de Chirico et de Paul Delvaux, m'a surtout troublé. J'ai trouvé dans le personnage du Hollandais volant, qui avait été condamné à vivre pendant plusieurs siècles, un symbole de cette juxtaposition des époques." Et de poursuivre : "Parmi les autres épisodes surréalistes du film, il y a aussi la scène de la course d'auto sur la plage : un bolide qui passe à vive allure devant la statue d'une déesse grecque, debout sur le sable. En réalité, c'est cette image qui fut la première pour moi et qui me poussa à développer l'histoire tout entière de Pandora."
Enfin, pour boucler ce petit tour d'horizon des références, on peut dire que le cadre du film, ce petit bout de côte espagnole, avec ses pêcheurs, son héros local de la tauromachie, mais aussi ses oisifs fortunés, en villégiature, rappelle à la fois l'univers d'Hemingway et celui de Fitzgerald.
Réputé pour être un cinéaste esthète et perfectionniste, Albert Lewin possède une filmographie très courte, mais tout empreinte de son goût pour la littérature, la peinture, les arts en général : The Moon and Sixpence (1942), Le Portrait de Dorian Gray (1945), Bel Ami (1947), Pandora (1950), Saadia (1953) et The Living Idol (1957). Pandora révèle un soin particulier apporté aux cadrages, aux couleurs ; son utilisation de la "nuit américaine" sied aussi à merveille au climat d'étrangeté du film.