Adossé contre le torse antique d'une statue de marbre, les orteils nichés sous le sable et l'esprit allégé par l'alcool, le musicien souffle dans son saxophone, emplissant l'air de notes moites et dansantes.
Que règne l’Oisiveté!
Pendant ce temps, à l'abri des regards, sur les flots d'une mer tranquille se terre l'immortel artiste aux doigts de feu. Rythmé par le clapotis des vagues, les coups de pinceau s'enchainent et dévoilent la femme aimée, qui reprend vie sous nos yeux ; et ses mains, écarlates encore du crime qu'elles ont commis, tremblent de ne pouvoir enlacer cette silhouette délicieuse, perdue à jamais. A jamais perdue? Sur l'île, l'ombre d'une Dame rayonnante assujettit chaque créature croisée sur son chemin. Ivres d'amour, les hommes se jaugent, redoublant d'efforts pour la conquérir. Mais, plus le prix payé est élevé, moins cela l'envoute. Car tant qu'elle n'aura pas aussi donné de sa personne, son désir dévastateur ne pourra être rassasié.
Ô Pandora, divine créature, permets-nous de t'approcher!
A chaque regard, à chaque soupir, au moindre mouvement de lèvre, la voilà maitresse des lieux et des êtres. Ava Gardner irradie littéralement le cadre, au point de tous leur faire perdre la tête. L'Amour n'aura jamais côtoyé la Mort d'aussi près. Amants maudits, ils traversent chaque plan épaule contre épaule, le souffle court, les doigts crispés sur le fourreau de l'Âme, bien décidés à en découdre.
Albert Lewin a parfaitement choisi son cadre : la tranquillité de l'eau offre un contraste de choix aux impétueuses montagnes, témoins agressifs d'événements glaçants. Et ce bar, ce petit bar d'apparence tranquille, accueillera en son sein de brûlants face à face.
Accoudés sur la croupe d'un piano saoul, enivrés d'oniriques volutes d'alcool, le poète, le pilote et l'enfant gâté se noient dans leurs babillages indistincts. Quant au corsaire au cœur amère, il déploie la gran'voile de son navire pour y coucher sa promise, les yeux clos, l'éternité comme horizon.