L'histoire d'un aiguilleur qui assiste à un meurtre nocturne crapuleux, mais quelque chose l'empêche d'être franc du collier.
J'ai lu pas mal de Simenon, Maigret et hors Maigret, et force est de dire que la dureté et le côté désagréable de l'écrivain est parfaitement rendu dans ce film hors norme.
Le premier plan séquence a failli m'énerver avant que je comprenne d'où venait cette ombre noire que je croyais rajoutée, ensuite, rassuré, j'ai dégusté les innombrables moments de bravoure cinéphilique.
Contrairement aux dires des critiques, on ne retrouve pas l'épique plan séquence des monte charge de « Damnation », tout est plus léché, plus spatial et moins contemplatif, presque plus rapide. Pour ne pas dire plus professionnel, donc moins extrémiste. Hélas.
Il reste quelques beaux retournements caméra, la scène du commissaire dans le bar, et quelques surprises, la chaise et le billard dans ce même bar dans une autre scène. Egalement de beaux jeux de lumière, les volets dans l'appartement par exemple.
Quelques problèmes de netteté, la scène de la cabane est « tremblée », mais j'ai ensuite compris que vu le vent à cet endroit, le réalisateur n'a sûrement pu faire autrement. Alors que la scène est hélas décisive. Bref, on sent que la genèse de ce film n'a pas été simple, il suffit de voir les dates de réalisation.
La musique est totalement répétitive, ce qui permet de n'y prendre aucun plaisir et se concentrer sur l'image. La bande son est également très dépendante du but du réalisateur, donc déroutante.
On sent que le réalisateur a voulu se faire plaisir, certains travelling sont presque drôles à force d'obstination, et le choix d'un scénario très peu moral n'est pas le moindre des manquements aux normes du cinéma traditionnel. De sa Hongrie alcoolisée et désabusée, le réalisateur a du sentir une corrélation avec l'univers de Simenon qui détruit toute beauté aux prolétaires Français. Mais heureusement, il le fait avec moins de haine. On s'attache un tout petit peu à ce peuple de débiles profonds qui vont tout faire de travers. La déconstruction de l'intrigue à force de lenteur est bien fichue, la moralité du plus fort et du plus riche est parfaitement dans la lignée du dégoût qu'avait Simenon pour les moins que rien, et le film englue dans ce sentiment, lorsque le précédent aiguisait l'existentialisme et la survie.
Il est difficile de donner une meilleure note qu'à « Damnation », en effet, si les travellings sont au dessus de tous soupçons, le doublage hongrois>français>anglais est très pénible (bien que finalement épique et ubuesque donc intéressant) tout comme le casting tellement hétérogène qu'il enlève quelque chose qui pourrait s'apparenter à la sécurité ou au plaisir du spectateur. Par contre, vue le côté abscon des performances demandées, tous les acteurs sont bons. La netteté n'est pas toujours au top, hélas spécifiquement sur le dernier plan du film ! Ce qui fait un peu désordre face à l'ambition de perfectionnisme de l'auteur. Mais il reste sublime face à l'histoire. Finalement, ce film est sans doute encore plus triste que « Damnation », mais plus digeste.
Bref, la hargne et le plaisir visuellement anarchique de son précédent film font place à la morgue et la moiteur d'une trop vieille histoire qui ne peut charmer et assumer la verve contemporaine de l'art visuel de Béla Tarr. Et désormais sa maîtrise, puisqu'il a très bien conquis les nouvelles technologies industrielles du cinématographe.
PS : Attention, 4 personnes sont sorties de la salle à la première demi-heure, ça reste du cinéma expérimental, à l'ancienne mais aussi contemporain, donc tout pour faire fuir. Contrairement à la lenteur de « Damnation », ici, les lenteurs sont sources de plaisir « littéraire », comme identique à un écrivain prenant son temps pour décrire la scène. C'est peut-être le problème de ce film, une narration normale face à une réalisation extraordinaire.