Le moins que l’on puisse dire est que le cinéma de Bela Tarr est exigeant, surtout en regard du cinéma actuel. Il faut être prêt à regarder une œuvre comme celle-ci, tout comme il fallait l’être pour ses précédentes productions. Il y a des jours, il est vrai, ou l’on peut passer complètement à côté du film, absolument incapable de se laisser absorber par cet univers si singulier. Mais après tout, qui peut se targuer de regarder un film d’Andrei Tarkovski tous les jours?
Le ton est donné dés la première scène, un noir et blanc profond, une ambiance poisseuse, qui ne tombe pas pour autant dans le glauque. A ce rythme, on le comprend vite, l’intrigue n’aura pas grande importance. Et s’il s’agissait plutôt d’impressions, de clichés photographiques animés ? Le temps est l’élément important, déterminant de ce film comme il l’est de nos vies. Dans sa durée immédiate, notre présent, le passé, les dégâts occasionnés, nos déceptions, l’amertume et bien évidemment le futur, l’espoir et le rêve. Quoi que l’on fasse, quel que soit note conduite, notre moralité, il y a souvent un destin farceur pour contrecarrer nos vies, un prix à payer, que sais-je encore ? C’est le cas de Malloin, cet homme solitaire, pilotant de nuit son poste d’aiguillage dans un port perdu aux confins de nulle part. Une scène dont il est le spectateur fera basculer sa vie et d’autres également. Le tic tac de sa vie monotone sera détraqué. De tic tac, il en est beaucoup question, le son ayant une place omniprésente dans le film, égrainant le temps de manière saisissante, voire angoissante. Raconter l’histoire n’aura pas grand sens, tellement notre perception sera différente d’une personne à l’autre. Ce n’est pas une expérience collective, il nous laisse seul avec nous-même à vivre un peu plus de deux heures d’un cinéma authentique qui ne fera rien pour vous faciliter la tâche. A conseiller aux personnes pour qui austérité ne rime pas forcément avec ennui.