C’est décidément le destin des réalisateurs allemands que de se tenir en pensée sur le Mur de Berlin pour relater, depuis un côté ou l’autre de son histoire, à quel point il a influé sur le pays. Et si c’est pour produire des films de cette facture, autant continuer !
La Vie des Autres est le premier film de Von Donnersmarck, et cela se sent dans la façon qu’il a de nouer son scénario comme Ulrich Mühe son nœud de cravate : trop vite. Mühe, il est de la Stasi ; il est cet Est-Berlinois tout gris, chauve, cynique et consciencieux qui a alimenté l’imaginaire de tant de dystopies d’après-guerre. L’inhumain qui épie et réclame le nom des gens, quitte à laisser tout le monde soupçonner qu’ ”il en est”.
Si l’on ne savait pas que Mühe n’a eu qu’à se rappeler de la RDA qu’il a vécue pour jouer si bien dans sa version fictive (et que l’acteur, à l’instar d’un personnage du film, a consulté son propre dossier de la Stasi après la chute du Mur), on croirait que Von Donnersmarck recrée tout le cliché du fascisme fantasmé de l’époque. Mais la machinerie a eu le temps de se mettre en place, et la caméra d’hériter d’un rôle tout particulier, puisque davantage que le son, elle fait passer le spectateur pour l’espion, le vrai.
Dans ce petit monde filmique guidé officieusement par un accessoiriste féru de réalisme qui a passé lui-même deux ans dans les prisons de la Stasi, on peut craindre le règlement de compte ou l’hommage, mais pas du tout : plus qu’un mémorial, l’œuvre est un souvenir enveloppé dans cette empathie allemande qui, osé-je le dire, semble toujours dériver en ligne droite d’un siècle de regrets pour leur histoire récente, sous cette forme humble et artistique qui fait des ravages entre autres chez Werner Fassbinder et Wolfgang Becker.
Pourtant, cette empathie ne donne pas lieu à des situations bien exceptionnelles : le cynique qui se met à réfléchir et à se sortir tout seul de l’autoritarisme qu’il a toujours défendu, on a déjà connu ça chez George Orwell ou Terry Gilliam, mais c’est bien vu de le mettre sur le compte de cette petite phrase : ”les gens ne changent pas”. Non, mais un peuple, oui. Pour finir, les rôles s’inversent carrément : l’écrivain pro-Ouest se tâche les mains d’encre rouge comme de sang tandis que c’est l’officier de la Stasi, chargé de l’écoute, qui invente une histoire servant à remplacer son rapport et à protéger sa nouvelle cause. Et ça, on y arrive après un déroulé politico-artistique vraiment sensationnel quoique par le biais d’un couple un peu terne.
Non content de m’absorber, le film me fait me poser une autre question : fallait-il que l’Allemagne vive dans la honte de ses dirigeants entre 1933 et 1989 pour faire d’aussi bons films à propos de cette période ?
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