Week-end documentaire, donc. Après "We Feed the World", place à une chronique sur une jolie colonie de vacances au pays des chrétiens-conservateurs : ça commence comme du Pierre Perret, et ça se termine comme un film d'horreur, style "Children of the Corn" ou "Ces garçons venus du Brésil". La première partie du film nous montre l'Amérique profonde, à peine plus évoluée que le midwest de "Truman Capote", avec ses routes, ses Wal Mart, ses radios aux sigles interminables et ses églises du Christ Triomphant.
D'emblée, la prédicatrice Becky Fisher justifie l'endoctrinement des enfants, en expliquant avec un soupçon d'admiration dans la voix que "nos ennemis, les musulmans, entraînent leurs enfants à jeuner le mois du ramadan à partir de l'âge de cinq ans". Tory, une blondinette portant un t-shirt "My dad is in the army", exécute une chorégraphie britneyspearienne sur un air de heavy metal ; on se dit, l'espace d'un instant, que voici enfin une gamine qui se comporte comme toutes les gamines de son âge. Las ! Elle nous explique que ce qu'elle écoute, c'est du christian heavy metal (sic), et que là, elle ne danse pas "pour le plaisir de la chair"...
Ces enfants sont aussi effrayants que des Hitler Jugend ou des Komsomol, scandant "Righteous judges! Righteous judges!" quand Lou Engle, "prophète" d'une chaîne apostolique vient leur demander de soutenir le combat de Georges Bush pour nommer le juge ultra réactionnaire Samuel Alito à la Cour Suprême, et qu'il leur offre des poupées de foetus de six semaines. On cherche désespérément un trace d'enfance normale chez ces gosses, mais en vain ; quand Rachel joue au bowling, on la sent aux aguets, jusqu'à ce qu'elle aille offrir une brochure évangélique à une jeune fille. Quand un soir d'orage où les plombs ont sauté (ce qui montre l'inefficacité des prières de Becky Fisher qui avait chassé Satan des bancs, de l'électricité, de PowerPoint...) les enfants commencent à se raconter des histoires qui font peur, un mono avec la tête de Ned Flanders vient les culpabiliser en leur rappelant que les fantômes, ce n'est pas très chrétien...
Leurs familles ont dressé une muraille autour d'eux pour les empêcher de se mélanger aux enfants "normaux" ; comme plus d'un million d'enfants évangéliques, ils sont scolarisés à domicile, et le programme qui leur est imposé nie la théorie de l'évolution et le réchauffement climatique. Quand on les voit jouer à un jeu vidéo, il s'agit de Creation Adventure, un jeu antidarwinien. Et quand on parle d'un film, il s'agit d'un reportage sur des marines chrétiens en Irak, intitulé "Dieu les a emmenés à bon port".
La rhétorique employée fait en permanence appel à des métaphores guerrières : Army of God, reconquête de l'Amérique, les ennemis en Palestine... Quand elle revoit les images tournées au camp, Becky Fisher jubile en se disant que les libéraux vont se demander comment vont être ces enfants quand ils seront plus grands. Bonne question... A moins de se contenter du conseil que le télé-évangéliste Ted Haggard (qui a plongé depuis dans un scandale à base de prostitution masculine et de méthamphétamines) donne à Levi qui veut devenir prédicateur : "Sers toi de ton joli minois jusqu'à trente ans, après tu pourras avoir un propos".
Les réalisatrices se contentent d'enregistrer tout ça, d'autant plus qu'enfants et adultes donnent l'impression de n'avoir rien à cacher. Dommage qu'elles n'aient pas maintenu ce parti pris de simple témoignage, et qu'elles aient rajouté les commentaires de Mike Papantonio, animateur d'une radio chrétienne tolérante et partisane de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ce contre-point était peut-être utile pour le public des Etats-Unis, qui comptent 224 millions de chrétiens sur 300 millions d'habitants. Pour nous, ou en tout cas pour moi, les images parlent d'elles-mêmes, et ce qu'elles nous racontent fait vraiment froid dans le dos.