Quelques années après son moyen et premier métrage, justement nommé Non-Film, Quentin Dupieux se lançait pour la première fois dans l'écriture et la réalisation d'un long-métrage avec pour argument de promotion le duo de comiques en vogue à l'époque, Eric & Ramzy, toujours auréolé des succès vieillissants de Double Zéro et La Tour Montparnasse Infernale, qui suppriment pratiquement, rien que sur l'affiche, le nom de l'auteur de cette fable étrange.
Partie d'un postulat de base pour le moins rocambolesque, elle nous fait directement comprendre, comme pour Non-film et le suivant, le médiocre Rubber, que ce sera un grand bordel dénué de tout sens logique, et qu'il ne faudra pas y chercher les incohérences, les illogismes, les absurdités. Le principe du film étant de tomber, dès son introduction, dans un genre de monde haut en couleurs et profondément superficiel, lequel aura pour utilité principale de dénoncer les travers du notre, il paraît alors évident que la carrière entière du réalisateur se fera dans l'absurdité, le non-sens, ce qu'il qualifiera, avec l'introduction très réussie de Rubber, de No-Reason.
Dénoncer en parodiant, c'est donc la marque de fabrique d'un Quentin Dupieux acerbe dans sa critique sociale, au point de manquer, souvent, de finesse. Profondément grossier dans les traits de sa propre société, la notre qu'il recrée comme le saint créateur qu'il se persuade être (Rubber sera le point culminant de la séparation entre l'artiste et son public, entre la bonne parole et ses adeptes), Dupieux perd en finesse ce qu'il gagne en puissance de frappe.
Parodier une société au travers de ce qui se vendait comme la nouvelle comédie d'Eric & Ramzy a tout de suicidaire, ou du moins de paradoxal; à l'image de la carrière de Dupieux, qui engagera dès Steak Eric Judor en tant qu'acteur fétiche, le duo divise l'oeuvre en deux parties bien distinctes : l'humour et la critique sociale. S'il est principalement basé sur ce qu'ils savent faire et ont toujours fait (les pitres qui surjouent), mêler leur type d'humour aux dialogues absurdes de Dupieux aura quelque chose de profondément dérangeant, de peu naturel.
Si c'est à l'image de sa société, il n'en demeure pas moins déplaisant de suivre des dialogues pourtant bien écrits mal retranscrits par le survoltage insupportable d'un Eric Judor toujours hyperactif et peu varié dans son jeu, encore que Ramzy Bédia s'en sortira mieux dans le rôle de l'idiot de base à l'évolution forcée forcément vouée à un échec cuisant, comme en attestera cette résolution d'intrigue en écho au départ, amusante et bien écrite (à la grande différence de celle du Daim), comiquement soutenue par la présence de running-gags savoureux et de personnages secondaires croustillants, le trop rare Vincent Belorgey en tête de casting.
De cette satire sociale, on retiendra surtout quelques répliques marquantes, cinglantes, d'une ironie presque jouissive; ou la surconsommation de lait, représentation simpliste de ce qu'est véritablement cette société des apparences : uniforme, plate, sans saveurs variées. Recroquevillée sur elle-même, elle refuse les différences comme si c'était un vice de ne pas rentrer dans le moule, les pointe du doigt jusqu'à détruire l'intégration sociale de la personne visée.
On retiendra aussi ces personnages couards, qui n'assument rien, se moquent sans oser se dire qu'ils s'aiment un peu, intérieurement, alors que leurs nouveaux rapports se basent presque uniquement sur de la trahison, du rejet, du faux mépris. Principalement basé sur la malhonnêteté de la société entière, Steak s'embourbe cependant dans sa critique sociale, ne sait plus trop quelle autre réflexion apporter au spectateur que celle de la superficialité des beautés, qui conduit irrémédiablement à un rapport entre Hommes presque uniquement basé sur une concurrence des apparences.
Chirurgie esthétique, peur du naturel, rejet de ce qui n'est pas plastique, uniforme, fade, toutes ces dérives typiques du cinéma de Dupieux (dans le procédé scénaristique/visuel, pas dans l'idée même de la chirurgie, par exemple) forment un tout répétitif qui, comme par peur de trop assumer son propos et de décevoir un public juste venu pour retrouver un duo de comiques à l'humour lourd, transforme sa satire en comédie faîte sur mesure pour son duo, qui semble n'avoir pas compris que Dupieux, en critiquant sa société, supprime l'identité des deux acteurs pour s'emparer, en auteur talentueux qu'il est, de leurs personnages sans jamais leur laisser de liberté dessus.
Dupieux, chef-d'orchestre, nous livre un premier délire sympathique, à défaut d'être mémorable.