Co-réalisatrice d'un téléfilm inspiré par l'Ancien Testament, avec Mira Sorvino et Malcolm McDowell (The Second Greatest Story Ever Told) et auteur de documentaires sur l'univers de la mode ou celui des fous de vitesse, Katharina Otto-Bernstein se souvient de sa première rencontre avec Robert Wilson : "Je faisais des recherches pour un projet sur les artistes et leurs muses, lorsque Wilson est littéralement entré dans ma vie... lors d'un cocktail. Nous buvions une vodka ensemble et nous avons commencé à parler d'art, de ce que je faisais, de ce que lui faisait. A la fin de la conversation il m'a dit : " Pourquoi ne ferions-nous pas quelque chose ensemble ? ". Wilson a les muses les plus inhabituelles : deux enfants, l'un sourd-muet, l'autre autiste, et cela correspondait parfaitement à mon projet. J'étais ravie." Elle résume ainsi son projet : "C'est un film sur une vie bien remplie, et l'art en fait partie. Ce n'est pas un film sur l'art dont la vie ne serait qu'un élément."
Absolute Wilson a été présenté en 2006 au Festival de Berlin dans le cadre du Forum, et a été choisi comme Film de l'année 2006 par Art Basel Miami, une grande foire d'art contemporain annuelle.
Artiste majeur du monde culturel contemporain, Bob Wilson est l'un des papes du théâtre d'avant-garde. Né au Texas en 1941, il connaît une enfance malheureuse, puis ce jeune garçon timide, bègue et homosexuel, décide de partir à New York dans les années 60. Se passionnant pour les méthodes de thérapie par l'art, il crée en 1970 son premier spectacle, Le regard du sourd, évocation très personnelle du quotidien d'un jeune sourd-muet, qui fait sensation auprès du public européen. Auteur en 1976 de l'opéra Einstein of the beach en collaboration avec Philip Glass, il travaillera ensuite avec des personnalités venues d'horizons très différents, telles que la Soprano Jessye Norman, le dramaturge Heiner Müller, les écrivains Susan Sontag et William S. Burroughs, les rockers Tom Waits et Lou Reed ou encore la comédienne Isabelle Huppert.
Connu pour sa discrétion, Bob Wilson a pourtant accepté de se livrer. Selon la cinéaste, deux facteurs expliquent cette confiance : "le premier a simplement été notre bonne entente - nous partageons le même sens de l'humour, nous sommes tous les deux des étrangers explorant d'autres cultures et leurs histoires. Il est Américain, travaillant principalement en Europe ; je suis Européenne travaillant surtout aux Etats-Unis (...) Le second facteur c'est que je n'ai jamais abordé ce projet avec des idées préconçues et que je n'ai jamais enfermé Bob dans un moule prédéfini." Un autre défi a été de trouver des documents d'époque, la plupart des théâtres ne disposant, pour toute trace des spectacles, que de cassettes VHS en piètre état. La cinéaste, qui parle de "chasse au trésor" s'est alors tournée vers la Fondation Byrd Hoffman de New York, centre de recherche artistique à destination de jeunes, qui gère également les archives de Robert Wilson. Elle ajoute : "Il y a aussi ce fameux entrepôt dans le New Jersey dans lequel Wilson entrepose des choses et les oublie. C'est là que nous avons trouvé les boites de film de ses premières oeuvres, mal classées et presque oubliées."
Dans sa forme, Absolute Wilson rappelle par certains aspects l'oeuvre du metteur en scène de théâtre : "En fait, la construction du film est très wilsonienne", note la réalisatrice. "En effet, sa figure favorite est le triangle et le film est construit sur ce modèle: deux époques, le passé et le présent, qui commencent loin l'une de l'autre et se rejoignent à la fin. En général, Wilson n'interrompt pas ses pièces de théâtre : il relie les actes (ou les changements scéniques) par un entr'acte qui consiste en un petit vaudeville. J'ai repris cette idée, en divisant sa vie en actes qui suivent une chronologie biographique, et en revenant au présent entre chaque acte pour présenter des aspects de sa vie actuelle, de ses oeuvres contemporaines..... Ces petites séquences empêchent de tomber dans un documentaire biographique traditionnel et rigide."
Deux grands noms du cinéma européen ont inspiré Katharina Otto-Bernstein : tout d'abord Federico Fellini, car, selon la cinéaste, "le style de vie" de Wilson évoque la musique composée par Nino Rota pour Fellini Roma ou La Dolce Vita. L'autre metteur en scène est Luis Buñuel : Tristana et Viridiana ont aidé Otto-Bernstein à aborder dans son film la question de l'influence de l'Eglise dans le travail de Wilson.