Ce n'est pas « qui l'aime le suive » mais bien « qui acceptera de le suivre l'aimera », cet homme qui marche.
Pourquoi ? Parce que. Parce qu'il est beau et attachant d'observer comme à mesure que la trajectoire de ce monsieur maigre (qui semble de profil même de face) s'estompe dans la nuée contemporaine des foules non sentimentales, le film, lui, dément ce pessimisme doux, cette amène noirceur : plus on avance vers les temps sombres d'aujourd'hui, oui, plus le film trouve sa respiration, s'aère et se décrispe, s'ensoleille. Il aura donc fallu, cqfd, à la jeune réalisatrice décrire une vie en négatif jusqu'à la disparition de son « modèle », pour trouver son ton, plus guilleret et vif qu'elle ne l'escomptait peut-être, et tant mieux, pour trouver son mode (en cinéma) d'apparition. C'est pourquoi ce premier film doit chérir ses propres trébuchements, tâtonnement, imperfections. Il n'y a rien de plus ennuyeux qu'un premier film impeccable (et même chose pour les suivants, d'ailleurs). Là, il s'agit d'abord de filmer l'ennui, pas à la morne sexuello-illustrative façon d'un Cédric Kahn, mais le désœuvrement volontaire, un peu comme chez Aki Kaurismaki : avec la nonchalance butée de ceux pour qui s'ennuyer est une gymnastique presque immobile, qui leur permet de surprendre, dans leur temps ralenti, un regard, un visage, une lueur, un détail, presque un rien, mais qu'eux seuls auront su percevoir. Et qu'ils emporteront avec eux, sans au revoir.
Alors je rêve, juste, que l'homme qui marche se redresse à la fin, quand la fille vient s'accroupir près de lui dans la rue : lève-toi, bon dieu, et marche !