Grave cas de conscience devant un film tel que "Délice Paloma" : doit-on l’analyser et donc le critiquer comme n’importe quel film, ou bien lui accorder un statut spécial du fait du contexte politique et des difficultés de réalisation dans son pays d’origine ? C’est cette seconde option qu’ont visiblement choisi de nombreux critiques, à Télérama ou au Nouvel Obs, qui le présentent comme un "audacieux tableau de la société algérienne d’aujourd’hui" (Pascal Mérigeau).
J’ai choisi pour ma part de regarder "Délice Paloma" comme tous les autres films critiqués sur ce blog, et le résultat est loin d’être aussi dithyrambique. J’avais pourtant aimé "Viva Laldjérie", porté par l’interprétation incandescente de Lubna Azabal, et la destinée à la fois simple et complexe de cette femme qui aspirait à vivre pleinement sa jeunesse dans une société encore traumatisée par quinze ans de terrorisme et de guerre civile m’avait touché, me faisant oublier les nombreuses maladresses de la réalisation.
Dans "Délice Paloma", on ne retrouve plus cette simplicité, et tout est appuyé de façon pesante. La construction narrative d’abord, avec un long flash back souligné par la voix off de Biyouna, aperçue à sa sortie de prison dans son jogging informe aux couleurs de l’Algérie. Il y a une redondance permanente entre les commentaires et les images, un peu comme ces BD franco-belges d’après guerre avec une cartouche expliquant ce que le héros faisait dans la case en dessous.
Les mêmes critiques se sont extasiés devant la performance de Biyouna, déjà vue dans "Viva Laldjérie". Son interprétation surjouée dans ce film pouvait alors passer, étant adaptée à son personnage d’ancienne danseuse de cabaret ruminant son passé. Ici, elle en fait des tonnes, et l’admiration que lui voue apparemment Nadir Moknèche n’arrange rien, vu que la moindre de ses minauderies est soulignée par le ralentissement d’un rythme déjà bien raplapla. Le reste de la distribution est à l’avenant, à l’exception appréciable d’Aylin Prandi qui joue Paloma, et dont le naturel et la grâce sautent d’autant plus aux yeux qu’on a l’impression de voir une statue s’animer au milieu du Musée Grévin.
Et puis, que c’est long ! 134 minutes pour une histoire de corruption et d’adultère manigancé, ça fait quand même beaucoup pour pas grand-chose, d’autant que le réalisateur finit par s’emmêler lui-même les pinceaux dans ces petites combines ; certaines scènes, comme celle du Miami, semblent avoir pour seule justification de mettre en valeur la chanson du film, sans avoir la fluidité des comédies musicales égyptiennes auxquelles elle fait référence.
Alors oui, Délice Paloma a certainement une signification particulière pour les spectateurs algériens, quand il montre la corruption du controleur de l’hygiène au ministre des droits de l’homme, l’islamisation rampante de la société symbolisée par l’évolution de Shéhérazade d’escort girl en "corbeau", ou le statut d’incapable majeure réservée aux femmes dans le code de la famille. Mais une intention généreuse et une indéniable tendresse pour les personnages ne suffisent pas à faire un film, surtout en l’absence de direction d’acteurs et de montage serré ; qu'on est loin d'Almodovar auquel Moknèche a parfois été comparé...
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